Publié : 31 octobre 2010
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Comprendre les liens entre Islam et Christianisme

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En méditerranée, une civilisation fondée autour d’une nouvelle religion, l’Islam

Il s’agit d’étudier une civilisation à son apogée dans ses rapports à l’Occident chrétien alors en plein essor.

L’Islam, dès 622, « n’est pas seulement une religion mais aussi une forme d’organisation politique et sociale qui a permis aux Arabes de parvenir à une unité jusque là jamais réalisée » [1] et de rayonner sur le plan culturel.

Même si les limites chronologiques sont celles du Moyen Age, c’est un sujet d’actualité à l’heure où l’Islam apparaît comme une ligne de fracture entre l’Occident et le reste du monde. Mieux connaître cette civilisation orientale du Moyen Age devrait favoriser la compréhension des évènements récents.

La religion musulmane

Le mot « musulman » a un sens plus étroitement religieux que celui d’ « Islam » [2] . Cette troisième religion révélée du Livre repose sur quelques dogmes simples et un ensemble de pratiques qui permettent un encadrement rigoureux de ses adeptes. L.Massignon a parlé de théocratie laïque (pas d’Eglise, pas de sacerdoce) égalitaire.

C’est un monothéisme strict édifié tout entier sur un livre sacré, le Coran. Celui-ci contient la parole de Dieu. Le musulman y puise des règles de conduite et de pensée aussi bien que des principes de grammaire. Le message coranique est le dernier d’une longue série d’Adam à Jésus. Il s’inscrit donc dans la tradition biblique.

Née dans la péninsule arabique au VIIe siècle, la religion musulmane s’impose réellement en 622 lorsque Mahomet, contraint de fuir La Mecque, c’est l’Hégire, s’installe à Médine (Yathrib) pour y fonder un Etat.

Cette date est d’ailleurs le point de départ du calendrier musulman. « Cinq piliers » de l’Islam structurent la vie du croyant : la profession de foi, la prière légale, 5 fois par jour, l’aumône légale, le ramadan et le pèlerinage aux lieux saints. A cela s’ajoutent des obligations personnelles telles que les interdits alimentaires. Lorsque Mahomet meurt le 8 juin 632, « sa mission prophétique est terminée. Les sociétés bédouines d’Arabie sont unifiées. Il reste à ses successeurs à consolider la théocratie fondée à Médine et à préciser et codifier les principes de l’Islam. »

L’expansion arabo-islamique

Les premières expéditions militaires vers la Syrie devinrent rapidement de véritables conquêtes qui furent le fait des califes, mot qui signifie successeur et lieutenant du prophète. En un siècle, un empire se constitua de l’Atlantique à l’Indus. Ce fut d’abord le Proche-Orient puis l’Iran, dans les premières années du VIIIe siècle. La conquête du Maghreb, menée à partir de Kairouan fondée en 670, fut longue et difficile alors que la péninsule ibérique fut aisément enlevée aux Wisigoths entre 711 et 716. Une nouvelle province, al-Andalus, y fut créée. Le royaume des Francs fut aussi l’objet de raids qui ont concerné le Languedoc, la Provence et la vallée du Rhône. Notre mémoire a retenu la victoire de Charles Martel, maire du Palais et père de Pépin le Bref, à Poitiers en 732. Cet évènement mineur fut habilement exploité par la propagande carolingienne pour justifier le coup d’Etat de Pépin le Bref en 751. Les Arabes réussirent à se maintenir plusieurs décennies dans certaines villes du sud comme Narbonne qui ne fut reprise qu’en 759.

Les problèmes d’administration qui se posent sont à l’origine des premières dissensions, des premières révoltes qui minent l’empire arabo-islamique et portent en germe les deux grandes divisions de la communauté musulmane :

- Ceux qui se réclament d’Ali, le gendre du prophète. Ils donnèrent leur nom au chiisme (de shî’ a Alî, signifiant le parti d’Ali).

- Tous ceux qui se considèrent dans la Tradition du prophète, la Sunna, d’où l’appellation « sunnisme ». la Sunna est constituée des hâdîths, faits et gestes du prophète transmis oralement.

Sous la dynastie des Omeyades (661-750), l’administration, jusque là très rudimentaire, se développe. De Damas, leur capitale, ils dirigent les provinces par l’intermédiaire d’un gouverneur, le wali, lui-même secondé par un cadi, chargé de la justice et par un percepteur général.

L’arabe s’impose comme langue administrative. Une monnaie proprement arabe est créée : le dînâr, pièce d’or, et le dirham, pièce d’argent.

L’actualité (prise d’otages moscovites par un commando tchétchéne. Automne 2003) nous conduits à évoquer le soufisme et le wahhabisme. Le premier est un mouvement mystique du XII-XIIIe siècle qui privilégie une relation personnelle avec un Dieu sensible au cœur. Le second est un mouvement puritain du XVIIIe siècle dont l’objectif est de restaurer l’Islam dans sa pureté, mythique, primitive. Les dirigeants actuels de l’Arabie saoudite et le commando appartiennent à ce mouvement. La majorité des Tchétchénes sont eux soufis.

L’apogée de l’empire arabo-musulman (VIIIe-XIe) En 750, la dynastie abbasside (750-1258) succède aux Omeyades. Le deuxième calife abbasside, al-Mansur (754-775), fonde une nouvelle capitale : Bagdad. Elle est aux IX-Xe siècle l’une des plus grandes villes du monde, éblouissante par ses mosquées, ses palais, ses jardins.

L’administration s’étoffe. Le calife, véritable monarque absolu, est secondé par le vizir. Les dîwâns (bureaux) se multiplient. Les nombreux secrétaires d’origine persane furent d’ailleurs en grande partie à l’origine de l’essor des lettres et des sciences qu’encouragèrent les grands califes, Harun al-Rashid (786-809) et al-Ma’mun (813-833). La prospérité économique est manifeste. L’unification politique de provinces très éloignées permet la diffusion de techniques (comme les qanats, canaux souterrains d’irrigation) et de cultures (le riz, le coton, la canne à sucre, les agrumes sont introduits dans le bassin méditerranéen). Un réseau serré de villes concentre richesses et pouvoirs. Palais, souks et mosquées font désormais partie du paysage urbain. Enfin de nombreuses voies caravanières sillonnent l’empire : soieries de Chine, épices et bois d’Inde, fourrures et esclaves du Nord affluent à Bagdad et sont redistribués dans toutes les régions de l’empire.

L’essor culturel est de grande ampleur. Il est certes le fait des Arabes et des musulmans mais des chrétiens, des juifs, des Persans y participent aussi. L’évènement capital est sans doute la rencontre à Bagdad de la philosophie et de la science grecque avec la pensée musulmane. Une intense activité de traduction des grandes œuvres de Platon, Aristote, Hippocrate, Euclide ou Archimède s’accompagne d’une assimilation de la tradition helléniste mais à partir de nouveaux centres d’intérêt. C’est ainsi qu’une nouvelle branche des mathématiques comme l’algèbre naît. De la géométrie à la médecine en passant par l’astronomie, toutes les sciences sont concernées. L’importance des bibliothèques démontre l’importance du livre dans l’Islam. Connu dès 751, le papier permit la multiplication des ouvrages. L’une des plus célèbres était la Maison de la sagesse à Bagdad. Dans toutes les villes furent créées des madrasas, collèges religieux où étaient enseignées toutes les disciplines. L’art et la littérature se développèrent. En Occident, Cordoue fut un grand centre intellectuel marqué par la figure d’Ibn Rushd, dit Averroès (1126-1198). Cadi, il étudia la médecine, le droit musulman, la physique et surtout la philosophie. Rationaliste, il fut contraint de s’enfuir mais son œuvre connut une immense renommée en Occident jusqu’au XVIe siècle. Le cinéaste égyptien Youssef Chahine l’a immortalisé dans son film « le destin », palme d’or à Cannes en 1997.

La rencontre des civilisations occidentale et arabo-islamique

Votre programme précise : « des conflits mais aussi des échanges ». Il n’y a pas forcément d’exclusive. Les croisades ou la Reconquista ne furent pas seulement des affrontements guerriers. Elles furent aussi l’occasion d’échanges. Il n’en reste pas moins que le fossé s’est agrandi entre les chrétiens, les Byzantins et les Arabes. Depuis le VIIIe siècle, chrétiens, musulmans et juifs coexistent en Espagne. Mais au XIe siècle, ce climat de tolérance réciproque se modifie. Les petits Etats chrétiens du Nord (Castille, Aragon, Catalogne) se lancent dans la reconquête des terres musulmanes du sud.

En 1085, Tolède est reprise mais devient un lieu de contacts féconds entre culture arabe et monde chrétien. Tout au long du XIIe siècle, des traducteurs comme Gérard de Crémone mettent en latin les grandes œuvres de la science et de la philosophie gréco-arabe. Réduits au petit royaume de Grenade, les musulmans sont finalement chassés d’Espagne en 1492.

Quant aux croisés, ils profitent de l’extrême division du Proche Orient pour s’installer durant deux siècles sur une mince frange littorale de la Syrie-Palestine. Jérusalem est prise en 1098 et quatre Etats latins sont créés. Le dernier tombe en 1291. Saladin fut le grand champion de la lutte contre les croisés. Il reprit Jérusalem en 1187. Principales bénéficiaires des croisades, les grandes villes marchandes italiennes comme Gênes et Venise voient leur commerce fructifier. En Sicile, l’entente entre les communautés se consolide sous l’égide des rois normands installés là depuis le XIe siècle. Leurs ministres sont aussi bien normands que grecs ou arabes. Palerme, la capitale, est une ville liée au monde musulman. L’architecture et la décoration de la cathédrale de Monreale, des églises et des palais utilisent des éléments arabes tels que les arabesques et byzantins (mosaïques ; coupoles). S’y retrouvent des géographes, des philosophes, des historiens, des savants arabes, juifs et grecs.

L’irrésistible ascension des Ottomans

Dès le IXe siècle, les califes abbassides s’entourent de mercenaires turcs razziés ou achetés en Asie centrale. Leurs chefs ou émirs jouent donc un rôle grandissant. Dans les années 1324-1354, les Ottomans, originaires d’Anatolie, imposent peu à peu leur domination sur l’Asie mineure. Au XIVe siècle, ils soumettent les Balkans et mettent fin à l’empire byzantin en s’emparant de Constantinople en 1453. Tout le bassin oriental et méridional de la Méditerranée passe sous leur domination. Ils forment un immense empire qui a duré jusqu’en 1918.

Loin de l’image dépréciée actuelle, l’Islam fut au Moyen Age une civilisation brillante, trait d’union entre la civilisation hellénique et la nôtre. Religion laïque, elle fonde néanmoins un Etat théocratique. Rome a eu les mêmes prétentions mais elle a dû compter avec l’autonomie du pouvoir politique.
Notes

[1] Françoise Micheau, La Documentation photographique n°8007, Les pays d’Islam, février 1999.

[2] Ibid.