Publié : 1er novembre 2010
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Le carnet de voyage historique - Gallois de Regard, de Rome à Clermont en Genevois, an 1568

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Par Pierre-Emmanuel DEMONQUE, IMF - Les Fins - ANNECY

I/ INTRODUCTION

L’objectif d’un tel projet se lit dans le titre : il s’agit de mener un double travail de production d’écrit et d’histoire.
Un projet de longue haleine, qui s’étend sur l’année, tant le nombre d’outils à construire est important, et la réalisation exigeante. Un projet ambitieux, mené non sans mal dans une classe de C.M. 2. Plus tôt dans la scolarité semble irréalisable.
Mais, qui sait ?...
Pour aborder la période de la Renaissance, Gallois de Regard est « l’homme idéal », se situant à la croisée de chemins historique, géographique, religieux, politique, culturel. Mais rédiger le carnet de voyage imaginaire d’un personnage ayant réellement existé n’est pas chose facile. Il s’agit de créer une fiction dans le cadre contraignant de la vérité historique. Cette difficulté impose donc une programmation pluridisciplinaire pointue dans les domaines de la production d’écrit, de l’Observation réfléchie de la langue, et de l’histoire.

II/ LES OUTILS A CONSTRUIRE

A / La production d’écrit
1/ Décrire des lieux, des personnages, des situations
2/ Rédiger un texte à la première personne
3/ "Créer un document historique"
B/ L’Observation réfléchie de la langue
1/ Les contes
2/ Le point de vue
3/ Les carnets de voyage
4/ L’orthographe
C/ L’histoire
1/ Les cartes et documents iconographiques
2/ Les textes

A/ LA PRODUCTION D’ECRIT
Ecrire un carnet de voyage historique, c’est :
- décrire des lieux, des personnages, des situations ;
- rédiger un texte à la première personne ;
- « créer un document historique ».

1/ Décrire des lieux, des personnages, des situations
Pour conduire les élèves à la narration descriptive, nous avons en dans un premier temps étudié les contes, et plus précisément les contes étiologiques. L’objectif n’était pas de travailler sur la structure quinaire de ce type d’écrit, puisqu’on ne la retrouve pas dans le carnet de voyage, mais elle est tellement nette (et déjà souvent assez bien maîtrisée en fin de cycle III) qu’elle permet de mettre l’accent sur les autres contraintes inhérentes à de telles productions : les systèmes de temps, les connecteurs, la description. Trois paramètres qui sont eux indispensables pour la rédaction d’un carnet de voyage.

2/ Rédiger un texte à la première personne
Pour écrire un « texte en je », le travail sur le point de vue s’impose. Nous avons donc, en littérature, étudié « Une histoire à quatre voix » d’Anthony Browne, puis « Verte » de Marie Desplechin, et enfin « Les derniers géants » de François Place, ouvrage qui nous permettait en plus de glisser vers le carnet de voyage.
Et nous avons donc poursuivi en travaillant sur toutes sortes de carnets de voyage, pour en découvrir les caractéristiques sur le plan de l’écriture et de l’illustration. Nous avons aussi été en consulter des « vrais » dans une bibliothèque, c’est-à-dire des carnets réalisés par des voyageurs inconnus, mais surtout des carnets qui n’avaient pas dû se plier aux exigences de l’édition. Ils proposaient donc diverses formes de fabrication : le cahier, l ?accordéon, la boîte, etc.

3/ « Créer un document historique »
Ce point sera abordé au chapitre C.

B/ L’OBSERVATION REFLECHIE DE LA LANGUE
Dans ce domaine, les progressions ont été établies en fonction des outils nécessaires aux différentes productions d’écrit travaillées en parallèle aux œuvres étudiées en littérature.
Sur l’année, les apprentissages sont organisés ainsi :
- 1° et 2° trimestres : grammaire, conjugaison, vocabulaire ;
- 3° trimestre : orthographe. Il s’agit de « mettre en situation » dans l’écriture tout ce qui a été appris dans les trois premiers domaines, de faire le lien entre ceux-ci et la qualité d’un texte produit.

1/ Les contes
- Grammaire : phrases simples et phrases complexes (les différents types de propositions), la fonction sujet (les différents types de sujet et leur lien avec le verbe conjugué), la ponctuation ;
- Conjugaison : distinguer passé/présent/futur (temps de la phrase et temps du verbe conjugué), les systèmes de temps, conjuguer l’imparfait et le passé simple ;
- Vocabulaire : sens propre et sens figuré, les mots invariables (les connecteurs).

2/ Le point de vue
- Grammaire : le pronom (pronoms de dialogue et pronoms de récit), l’adjectif (les liens dans le GN entre déterminant/nom/adjectif) ;
- Conjugaison : les systèmes de temps (temps simples et composés), conjuguer le présent ;
- Vocabulaire : les familles de mots.

3/ Les carnets de voyage
- Grammaire : les compléments (essentiels et circonstanciels), épithète et attribut ;
- Conjugaison : le futur ;
- Vocabulaire : les différents sens d’un mot, les synonymes.

4/ L’orthographe
La production d’écrit est le cadre évident de la mise en pratique des notions abordées dans le cadre de l’ORL.
Lors des séances, priorité a donc été donnée à l’écriture sous toutes ses formes, de la classique dictée au résumé, de la lettre à l’énoncé de problème, de l’exposé à la synthèse de séance en histoire-géographie, etc.
Concernant la rédaction des textes du carnet lui-même, elle était menée en parallèle. Le premier écrit a demandé trois voire quatre jets pour certains, la principale difficulté résidant dans le fait de faire correspondre rigueur littéraire et rigueur historique.
Les premières corrections avaient donc comme principal objectif d’arriver à un déroulement chronologiquement correct, étayé par une bonne utilisation des connecteurs et des systèmes de temps. Il a donc été décidé de rédiger un résumé avant de passer à la rédaction du texte. Ainsi les élèves rentraient dans la structure du récit et s’éloignaient de la simple restitution d’informations.
Puis est venu le temps de travailler le vocabulaire : précision des termes utilisés, variétés de ceux-ci afin de gommer les répétitions.
Enfin, il fallait régler les derniers problèmes d’orthographe qui subsistaient, beaucoup ayant disparu lors des étapes précédentes. Les ultimes corrections étaient apportées par l’enseignant lui-même.

C/ L’HISTOIRE
Notre programmation d ?école nous conduit à étudier, au C.M. 2, la période s’étendant de l’ère napoléonienne jusqu’à nos jours.
Nous sommes donc loin de la Renaissance...
Mais le travail sur le programme de l’année va nous permettre de construire les outils historiques nécessaires à la rédaction de notre carnet de voyage.
La période de la Renaissance, dans un but de « savoir historique », sera découverte au travers de l’exploitation des documents proposés dans l’objectif d’écriture.

1/ Les cartes et documents iconographiques
Tout au long de l’année, en histoire comme en géographie, les objectifs ont toujours été fixés en termes de savoirs et de savoir-faire. Toutes les évaluations et remédiations qui en découlaient proposaient des exercices sur la frise et la lecture de document historique d’une part, la carte et la lecture de document géographique d’autre part. L’évidence pousse à présenter une gamme la plus variée possible de documents, et à donner aux élèves les clés pour s’en servir. La simple observation suivie d’un commentaire ne suffit pas : il existe des règles de lecture d’images, de cartes, de graphiques, de tableaux, etc.
Ceci pourrait faire l’objet d’un autre exposé...
Mais si ce travail n’a pas été fait auparavant, la réalisation d’un carnet de voyage historique semble impossible, puisque la beauté du texte doit prendre en compte la vérité historique, qui elle-même se cache dans les documents présentés.

2/ Les textes
Pour simplifier, on dira que le texte historique peut être un document d’époque (article de journal, affiche, récit d’un acteur, etc.), ou un texte d’historien ou de témoin, donc postérieur à l’évènement, sous forme narrative ou documentaire.
Là encore, il est donc indispensable de proposer aux élèves une grande variété de documents historiques écrits, et, dans le cadre des cours d’histoire, de leur faire parfois rédiger des petits textes narratifs comme trace écrite, à la place d’un résumé classique ; textes pouvant être rédigés à la 1° comme à la 3° personne. Ce genre d’exercice peut d’ailleurs se pratiquer même si on ne compte pas se lancer dans un carnet de voyage historique.

III/ UN CARNET DE VOYAGE A ECRIRE

A/ A la découverte de Gallois De Regard
B/ Mettre en place la structure
C/ Réaliser le carnet de voyage
1/ Gallois quitte Rome et se souvient...
2/ Le voyage
3/ Etape à Lyon
4/ La rencontre avec Emmanuel-Philibert à Chambéry
5/ La réalisation technique

Il va d’abord falloir faire la connaissance de notre personnage principal, Gallois de Regard, et le situer dans le contexte de l’époque.
Décider ensuite de quel voyage nous allons rédiger un carnet : où, quand, comment, pourquoi ?
Et enfin, « tout simplement » se mettre au travail ?

A/ A LA DECOUVERTE DE GALLOIS DE REGARD
Comme cela a été mentionné plus haut, la Renaissance ne figurait pas au programme d’histoire de l’année de C.M.2.
Mais, dans le cadre de ce même programme d’histoire, un gros travail avait été mené en début d’année sur la frise historique et la périodisation. Des jalons avaient donc déjà été posés, et quelques éléments de base concernant les caractéristiques de cette période étaient donc connus.
Dans un deuxième temps, c’est au travers de la poésie que nous sommes retournés nous promener au XVI° siècle.
D’abord par un texte de présentation de la période, centré sur la « naissance » de l’humanisme et sa traduction dans les arts en général. Puis par l’étude de deux poèmes, l’un de Du Bellay , l’autre de Ronsard.
Dans l’optique du carnet de voyage, il fallait maintenant se focaliser sur Gallois de Regard. Six groupes d’élèves ont été formés, avec pour mission d’analyser des documents sur les thèmes suivants : Gallois de Regard et sa famille, le Château de Clermont, le Duché de Savoie, les guerres de religion, l’humanisme, la Renaissance.
Suite à cette première étape, ils avaient à remplir des tableaux chronologiques correspondant à la vie de Gallois, afin d’y faire figurer les dates et évènements qui avaient pu avoir une influence sur celle-ci.

B/ METTRE EN PLACE LA STRUCTURE
En juxtaposant les six tableaux, on a essayé de faire ressortir les périodes les plus importantes de la vie de Gallois, et d’y rattacher quelques éléments ou évènements importants de l’époque. Mais le manque d’informations sur notre « héros », et la connaissance trop superficielle de l’époque par les élèves nous a poussés à fortement orienter l’activité et à dessiner la trame du récit, en suivant deux axes :
- faire ressortir les différentes facettes du personnage à savoir son côté humaniste, son côté amoureux des arts, son côté diplomate (guerres de religion et réorganisation du duché de Savoie, son côté témoin d’un changement d’époque
- organiser un voyage fictif mais plausible historiquement, par rapport à sa propre vie et aux évènements de l’époque. Et là, on mesure l’immensité de la tâche d’écriture...
Deux textes seraient donc l’œuvre des élèves : Gallois quitte Rome et se souvient, Etape à Lyon, un troisième serait écrit collectivement : la rencontre avec le Duc de Savoie à Chambéry, et le dernier serait rédigé par l’enseignant : le voyage.

C/ REALISER LE CARNET DE VOYAGE
1/ Gallois quitte Rome et se souvient...
C’est le chapitre qui permettra de faire apparaître la découverte de la Renaissance par Gallois lorsqu’il vit à Rome. Trois thèmes avaient été choisis : l’art (peinture et sculpture), l’architecture, et les arts de la table. Par manque de temps, seuls les deux derniers ont été abordés.
La même démarche a été suivie deux fois de suite : présentation de gravures, reproductions, photographies, témoins des deux périodes. Pour chaque document présenté, une lecture d’image était lancée, les élèves prenant en notes libres les éléments qui leur semblaient les plus importants, et surtout ceux dont ils avaient envie de se servir dans leur écrit.
En fin de séance, une synthèse était faite faisant ressortir les caractéristiques des deux périodes, Moyen Age et Renaissance, et les évolutions principales.

2/ Le voyage
Il avait été choisi de faire naviguer Gallois de Regard. D’abord sur la Mer Méditerranée, puis sur le Rhône. Ce qui permettait de faire allusion aux brigands présents sur la route des Alpes, aux pirates agissant sur les mers, à la navigation fluviale de l’époque, etc.
Comme annoncé plus haut, les recherches et la rédaction des deux textes ont été réalisées par l’enseignant. Un travail de lecture approfondie a été ensuite mené en classe lors de la fabrication du carnet.
Pour qu’ils laissent une trace personnelle, les élèves ont eu à construire et colorier une rose des vents en surimpression du premier texte, ce qui a permis une activité géométrique.

3/ Etape à Lyon
Différentes gravures ont été présentées aux élèves qui les ont observées, commentées.
Toutes les gravures
Une première série représentait les quais du Rhône à Lyon avec trois bateaux : le premier transportant des passagers, le second leurs bagages, le troisième, indépendant des deux premiers, étant un bateau-lavoir. Toutes sortes de personnages apparaissaient : un enfant cireur de chaussures, un musicien ambulant, un mendiant, etc.
Un deuxième document montrait une grue actionnée par des hommes marchant dans une roue afin de faire monter ou descendre une corde reliée à la roue par un système d’engrenages et de poulies.
Un autre décrivait le déchargement d’un bateau transportant du charbon en vrac, et le chargement des sacs sur des charrettes.
Le dernier représentait l’intérieur d’une manufacture de tissu où l’on voit des femmes peindre à la main des motifs sur différentes toiles.
A l’issue de ce temps d’observation/description/analyse, nous avons fait une synthèse collective pour chaque document, et chaque élève notait librement sur une feuille ce qui l’intéressait, et dont il avait envie de se servir pour raconter l’étape à Lyon de Gallois de Regard.

4/ La rencontre avec Emmanuel-Philibert à Chambéry
Un exposé des faits historiques permettant de comprendre les raisons de cette rencontre a été présenté aux élèves, avec l’appui de documents iconographiques : gravures, cartes d’époque et actuelles.
A partir des données recueillies, un texte collectif a été rédigé par la classe toute entière. Il a ensuite donné lieu à une « lecture historique » et à une légère réécriture afin de gommer des maladresses, des inexactitudes, voire des anachronismes.
Après une relecture en classe, les élèves n’avaient plus qu’à le recopier.

5/ La réalisation technique
Pour chaque chapitre, il a d’abord fallu choisir les illustrations : obligatoirement un dessin personnel, et une reproduction miniaturisée d’un des documents étudiés en classe à l’occasion des séances de travail préparatoire à l’écriture.
La forme choisie a été celle d’un livre-accordéon, des feuilles de dessin format A4 étant reliées les unes aux autres par du ruban de toile adhésive.
Ce choix présentait deux avantages : le carnet peut se lire comme un livre, être posé, ou encore accroché en étant totalement déplié. Et pour sa fabrication, on pouvait travailler sans obligatoirement respecter l’ordre chronologique, travailler indifféremment le texte ou l’image, travailler en classe ou à la maison.
La couverture a été réalisée en calligraphie, technique abordée auparavant dans le cadre des arts visuels.
Deux exemples de carnets :

JPG - 53.3 ko
Carnet de Amarande ouvert
Le carnet de Alan a été posé en premier plan.

JPG - 39.3 ko
Carnet de Alan
Le carnet de Amarande a été posé en premier plan.

IV/ CONCLUSION

Se lancer dans un tel projet demande un peu de folie, beaucoup de patience, et de solides appuis extérieurs.
Un peu de folie, car même si on sait à peu près où l’on va, on ne sait pas toujours où on en est, tant la pluridisciplinarité est importante.
Beaucoup de patience, car le travail préparatoire, à savoir la construction des outils, est extrêmement long. Et qu’il faut savoir garder pour soi un bon nombre de données, afin de ne pas lancer trop tôt et trop vite les élèves dans le projet en lui-même afin de ne pas les lasser.
De solides appuis extérieurs, particulièrement dans le domaine de l’histoire, car la recherche documentaire n’est pas toujours aisée, et que l’anachronisme guette à chaque coin de phrase.
Ca demande du travail, beaucoup de travail. Mais la motivation des élèves durant l’activité, et leur fierté quand ils contemplent l’objet terminé, donneraient presque envie de recommencer à la rentrée suivante...

Mais il faut savoir raison garder...