Par : G R
Publié : 31 mars 2005
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L’acte de lire

Par Corinne Totereau, professeur d’IUFM

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INTRODUCTION

L’approche cognitive de la lecture consiste à déterminer quelles procédures permettent à un lecteur habile de lire un texte et d’en comprendre le sens, ainsi que la chronologie de leur développement chez l’enfant. Comme le soulignent de nombreux auteurs, la lecture met en jeu deux procédures conjointes automatisées : l’identification des mots et l’attribution du sens (intégration sémantique et syntaxique). Une défaillance dans l’une ou l’autre de ces procédures aboutira à une mauvaise compréhension.

Caractéristiques du système d’écriture :

Ce qui fait la spécificité de la lecture, par rapport à la compréhension orale, est lié essentiellement à la nature du code qui sert à retranscrire les sons du langage.
Le français utilise un code alphabétique dont le principe de base est de faire correspondre une lettre ou groupe de lettres (graphème) à un son de la langue (phonème).

Les phonèmes sont des éléments sonores du langage, non porteurs de sens, mais permettant d’établir des différences de sens. Exemple : pour "lampe" et "rampe", les sons correspondants à "l" et "r" sont les deux phonèmes (le plus petit élément constitutif de la chaîne parlée permettant des distinctions sémantiques) qui permettent de distinguer ces deux mots.
Par exemple, le mot "bal" peut être décrit comme résultant de la combinaison de 3 phonèmes, dans l’ordre /b/, /a/ et /l/ car il peut être distingué, parmi d’autres mots, de "cal", "bol" et "bar".

Le graphème est la contrepartie du phonème. C’est une lettre ou une séquence de lettres correspondant à un phonème.

Problème : Dans la plupart des écritures occidentales (et notamment le français), les systèmes de correspondances graphèmes - phonèmes sont complexes : plusieurs façons de prononcer une lettre (en lecture, par exemple la lettre "c" peut être lu /k/ cou ou /s/ celui) ou plusieurs façons d’écrire un son (en orthographe, le son /o/ peut être retranscrit par eau, au, o). Ainsi, le français et l’anglais sont des langues non transparentes, contrairement à l’italien et l’espagnol.

Au total, le français comporte 37 phonèmes, que notre système alphabétique transcrit avec seulement 26 lettres qui permettent de composer 93 graphèmes.

Ce qui se passe pendant la lecture : Les aspects visuels de la lecture

Contrairement à ce que l’on croit souvent, le regard du lecteur n’effectue pas un balayage continu du texte qu’il parcourt. En réalité, il se fixe sur certains points et se déplace par saccades. La plus grande partie des fixations ont une durée de 150 à 300ms. Deux points de fixations sont espacés de 7 à 9 caractères en moyenne, soit un peu plus d’un mot (1,2 mots en moyenne chez l’adulte). Chez l’enfant, la taille d’une saccade est de l’ordre de 0,5 mot. Il y a de fréquents retours en arrière (régressions : saccade de droite à gauche).
Chez les lecteurs débutants, les déplacements du regard sont assurés par des mouvements de rotation de la tête. Ce n’est souvent pas avant la fin de l’école primaire que seuls les yeux se déplacent.

Les théories concernant l’apprentissage de la lecture

Contrairement à la langue orale, qui s’acquiert, non sans effort de l’apprenant mais dans des situations spontanées, la lecture ne s’acquiert pas, elle s’apprend, et le plus souvent dans des situations provoquées par l’entourage.

Pour simplifier, avant les années 1970 régnait la théorie ascendante du déchiffrage (partir des lettres jusqu’au sens), le fameux B-A-BA. Ensuite les années 1970 ont vu s’imposer la théorie dite descendante où le rôle du contexte sémantique est placé au premier plan de l’apprentissage de la lecture (du sens aux lettres : cf. les travaux de Foucambert et l’AFL).
Aujourd’hui, les deux théories coexistent, le déchiffrage et la compréhension sont deux processus traités en parallèle. On ne peut plus affirmer comme cela a été longtemps le cas que "lire c’est comprendre" mais plutôt : "lire c’est pour comprendre".

Actuellement on trouve la conception selon laquelle la lecture serait la résultante de deux capacités : la capacité d’identification, de reconnaissance des mots écrits et la capacité de compréhension du langage parlé. Ces deux compétences sont nécessaires, aucune n’est suffisante : l’identification des mots, le décodage en l’absence de compréhension ne mène pas à la lecture (cas de toute personne qui essaierait de lire du finnois sans connaître cette langue). De même la compréhension orale sans décodage de l’écrit ne mène pas à la lecture.

Gough en 1986 a proposé la formule suivante : L (performance en lecture) = D (décodage graphophonologique) x C (compréhension)

Actuellement : L = R x C

R pour reconnaissance des mots ou identification des mots (par voie graphophonologique ou voie orthographique).

On distingue donc deux types de « mauvais lecteurs » :
- Le premier a une bonne compréhension orale, mais présente des difficultés dans la reconnaissance des mots (variable R). Sa difficulté à comprendre un texte écrit est secondaire à sa défaillance dans l’identification des mots. Cette difficulté est tout à fait spécifique à l’activité de lecture.
- Le second présente des difficultés en compréhension, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. C’est la variable C qui est déficitaire. Dans ce cas, les difficultés ne sont pas spécifiques à la lecture (puisqu’elles rejoignent les difficultés rencontrées en compréhension orale)

Lire c’est évidemment comprendre. Mais pour apprendre à comprendre, il ne suffit pas d’exercer la compréhension ; il faut exercer les mécanismes qui permettent la compréhension et en premier lieu, le décodage, l’identification des mots.

I IDENTIFICATION / RECONNAISSANCE DES MOTS ECRITS

1.1. Les deux voies de lecture

Il y aurait deux façons de lire un mot écrit, deux voies de lecture : la voie phonologique, indirecte ou lecture par assemblage et la voie lexicale, directe ou lecture par adressage.

a)la voie phonologique

La première voie consiste à identifier les correspondances entre les lettres et les sons, à segmenter les mots en petites unités, puis à les assembler. Cette voie, ou stratégie de lecture, est appelée l’"assemblage" ou voie phonologique.
L’accès au lexique se fait par l’intermédiaire de l’information phonologique. Il y a assemblage entre la graphie et la phonie. Le lecteur doit traduire le mot vu en phonèmes avant de lui assigner une signification. Cette voie est très sollicitée par les apprentis lecteurs. Traitement lent et coûteux.

Pour la tester chez des enfants ou des adultes (qui ont perdu la compétence en lecture après des lésions ou des accidents affectant le cerveau) on leur fait lire des mots qui n’existent pas et qu’ils n’ont pu donc stocker en mémoire (on les appelle des "logatomes"). On ne peut lire ces mots sans utiliser les correspondances lettres / sons et utiliser la voie de l’assemblage.

b)la voie lexicale ou directe

La deuxième voie consiste à identifier le mot comme une forme précise et stable, sans passer par l’assemblage. Cette voie est appelée l’"adressage", car l’on s’adresse en quelque sorte directement au mot stocké dans le lexique orthographique. On l’appelle aussi voie lexicale ou voie orthographique. Il y a appariement direct entre la forme graphique et la signification. Dans ce cas il y a une forme visuelle du mot en mémoire et la reconnaissance se fait par adressage. Surtout utilisé par les lecteurs experts car c’est plus rapide.
Pour la tester, on présente à l’enfant ou à l’adulte des mots irréguliers qui échappent à la correspondance entre les lettres et les sons ("femme" se lit "fame", "oignon" se lit "ognon", "chaos"). Les enfants et adultes qui passent par la voie de l’assemblage lisent ces mots sans les reconnaître, comme s’il s’agissait de mots n’existant pas.

Donc tous les mots ne mettent pas en jeu ces deux systèmes de la même façon. On ne peut pas tout lire avec une seule voie.
Pour les mots réguliers : la production orale peut être générée par les deux systèmes
pour les adultes experts bons lecteurs : traitement global (voie lexicale)
pour les enfants en début d’apprentissage ou en difficulté : traitement analytique (voix phonologique)

pour les mots irréguliers : traitement global
pour les mots nouveaux ou logatomes ou les mots rares : traitement analytique

Donc la reconnaissance des mots écrits c’est la capacité d’identification des mots du texte reposant sur des traitements analytique et global.

1.2. Les phases de l’apprentissage de la lecture

Chez l’enfant, il y aurait trois phases successives dans l’apprentissage de la lecture (modèle de Uta Frith en 1985).

a)La phase logographique

Une première étape dite "logographique" correspond aux tout premiers contacts de l’enfant avec le langage écrit.

L’enfant identifie globalement les mots comme il reconnaît un dessin. Aucune connaissance lexicale n’est impliquée : le mot n’est pas traité comme une séquence de lettres.
Si un enfant de trois ans paraît reconnaître le mot "Coca-Cola", à l’étonnement de ses parents, ce n’est pas parce qu’il l’a "lu", au sens habituel, mais simplement qu’il en a reconnu la forme générale sur des indices extérieurs : la forme des lettres, leur couleur, l’aspect général du mot, la longueur du mot. Il suffira pour s’en convaincre de lui montrer un mot totalement différent mais écrit selon les mêmes caractéristiques graphiques pour s’apercevoir qu’il ne lisait pas vraiment le mot, puisqu’il le prononcera généralement à nouveau "Coca-Cola".

A ce niveau logographique, l’enfant ne sait évidemment pas lire, mais il est capable de reconnaître parfois un nombre conséquent de mots, et ce uniquement à l’aide de quelques indices visuels. Il y a mémorisation arbitraire entre une forme écrite et une signification. Le traitement est global et visuel. La reconnaissance de l’étiquette du prénom en PS et MS en est une illustration.

On donne à l’enfant l’illusion de lire en lui apprenant à reconnaître globalement certains mots. Mais jusque là il n’y a pas de lecture proprement dite puisque l’enfant n’utilise pas encore la correspondance entre les lettres et les sons, qui constitue la base de la deuxième étape : la phase alphabétique.

b)La phase alphabétique

Paradoxalement, lors de cette phase, c’est l’écriture qui va permettre de développer les capacités de lecture : au cours du CP, l’enfant va, avec l’aide de l’écriture, développer un système fondamental qui est la base de la lecture et qui consiste à automatiser les liens entre la forme visuelle (des lettres, des groupes de lettres, des syllabes) et leur correspondant sonore.
L’enfant prend conscience que l’écriture n’est pas arbitraire par rapport à la langue parlée. L’accès à cette phase requiert 3 compétences : prendre conscience que les mots sont faits de lettres, que les paroles sont faites de phonèmes et qu’il existe une correspondance non aléatoire entre les deux.

L’enfant utilise également les analogies pour décoder les mots : "ça commence comme" ou "ça finit comme". La procédure analogique consiste en fait à encoder les mots nouveaux en exploitant leur similitude orthographique avec d’autres mots nouveaux. (par exemple, l’enfant qui sait reconnaître le mot chien, souvent rencontré dans son album préféré, et le mot bien dont l’institutrice fait un usage abondant en marge de ses productions graphiques lira le mot rien qu’il voit pour la première fois) : analogie sur les rimes

Dans cette phase, la conscience phonologique joue un rôle primordial. Les enfants repèrent dans la parole des unités de segmentation inférieures aux mots (rimes, syllabes, phonèmes) qui vont leur permettre de comprendre les relations existant entre le langage parlé et l’écriture.
Dans cette phase, l’enfant convertit les graphèmes en phonèmes.

La conscience phonologique c’est la capacité de prendre conscience de la structure phonologique des mots et de pouvoir la manipuler. C’est un facteur important car dans les codes alphabétiques, correspondance entre un son et une graphie. Si on n’a pas conscience des sous unités de la parole (syllabes, rimes, phonèmes), on ne peut pas comprendre la correspondance. Or, prendre conscience des phonèmes est difficile, cela n’est pas nécessaire pour parler, cela ne se développe pas spontanément. Pour accéder à la conscience phonologique, il faut faire abstraction du sens du mot : ignorer le sens du mot pour s’intéresser aux aspects de surface.

De nombreux travaux établissent aujourd’hui avec certitude l’importance de la maîtrise métaphonologique au début de l’apprentissage de la lecture.
maîtrise métaphonologique : capacité d’identifier des composants phonologiques des mots, pseudo-mots et de les manipuler de façon intentionnelle.

La littérature a largement traité des liens entre la conscience métaphonologique et l’apprentissage de la lecture. Deux hypothèses ont été formulées quant au sens de cette relation :

la conscience phonologique serait la conséquence de l’apprentissage de la lecture
la conscience phonologique, évaluée en GS avant l’apprentissage de la lecture, serait un précurseur, un prérequis de cet apprentissage.

Données en faveur de la première hypothèse : recueillies auprès d’enfants non lecteurs, apprentis lecteurs, analphabètes. La conscience phonologique mesurée dans la tâche de segmentation du langage en phonèmes, ne se développe pas avant ou en l’absence d’apprentissage de la lecture.

Données en faveur de la deuxième hypothèse : les scores obtenus dans des tâches mesurant la sensibilité à la structure phonologique des mots (travail sur les syllabes, les rimes) avant l’apprentissage de la lecture prédisent le niveau de lecture ultérieur (Travaux de Bryant).

En conclusion : l’apprentissage de la lecture et la maîtrise phonologique se développent en interaction. D’une part, la maîtrise phonologique (notamment les syllabes et les rimes) faciliterait l’apprentissage de la lecture, de l’autre les progrès en lecture se manifesteraient également dans les activités d’analyse de la parole en segments et notamment en phonèmes.

La capacité à décomposer la syllabe est une condition nécessaire à l’apprentissage de lecture, alors que la capacité à identifier précisément les phonèmes est surtout une conséquence de cet apprentissage.
Avant l’apprentissage de la lecture, les enfants de 5-6 ans échouent lorsqu’on leur demande de répéter un mot en supprimant le premier phonème ou de compter les phonèmes composant un mot. Peu de temps après le début de l’apprentissage de la combinatoire, ce type de tâche devient plus facile à effectuer pour la plupart des élèves.

L’apprentissage du décodage est donc un apprentissage qui porte sur les graphèmes, les phonèmes, sur la mise en correspondance entre les deux. Dans cet ensemble, les résultats de la recherche montrent que le plus difficile à acquérir et à automatiser est l’identification des phonèmes.

Maîtriser la correspondance (même imparfaite) entre les graphèmes et les phonèmes demande non seulement de ne pas confondre les lettres, mais aussi de reconnaître à l’oral les unités linguistiques sonores que sont les phonèmes.
De nombreuses recherches ont mis en évidence qu’un entraînement de la conscience phonologique avant d’apprendre à lire permet à l’enfant d’améliorer ses performances en lecture. Différents exercices peuvent être utilisés pour évaluer et pour entraîner la capacité à prêter attention à la phonologie (détection de l’intrus ; tâches d’analyse segmentale).
Progression : syllabes, rimes puis phonèmes

La capacité à manipuler la phonologie de sa langue est nécessaire à l’apprentissage de la lecture d’une langue alphabétique et cette nécessité est liée à son réinvestissement dans l’activité de décodage, activité qui fait partie de l’ensemble complexe des activités de lecture.
Sans réduire l’apprentissage de la lecture à l’installation des correspondances lettres-sons, il est indispensable que cet apprentissage fasse l’objet d’un enseignement systématique. Celui-ci devrait être entamé au début du CP en accompagnement de la poursuite de la constitution d’un vocabulaire visuel permettant l’appariement direct entre des mots écrits et leur signification. Toutefois, cet enseignement relativement précoce de la combinatoire exige que tous les élèves aient auparavant (en GS ou en début du CP) compris le principe alphabétique.

c) la phase orthographique

Enfin, la dernière phase dite orthographique correspond au moment où l’enfant devient apte à reconnaître un mot comme une entité, grâce à la formation progressive de ce qu’on appelle un lexique orthographique. Il semble se faire à la manière d’un dictionnaire auquel on se réfèrerait pour chaque mot à lire, selon une procédure de type « photographique », permettant une identification rapide (d’autant plus rapide que le mot est plus familier) puis un accès immédiat au sens.

C’est cette procédure orthographique ("je photographie, je reconnais, je comprends") qui se développerait ensuite pour devenir de plus en plus efficace au fur et à mesure que la lecture devient de plus en plus compétente. Au bout du compte, le lecteur adulte n’utiliserait pratiquement plus que la procédure "photographique", ce qui est évidemment beaucoup plus rapide et "économique" que de passer par l’assemblage des formes sonores (qui reste cependant nécessaire lorsqu’on doit lire, par exemple, des mots nouveaux, ou sans signification, ou encore des mots d’une langue étrangère).

Le but de l’apprentissage de la lecture est de permettre à l’élève d’abandonner le passage par les sons en se constituant progressivement un dictionnaire mental dans lequel la forme orthographique de chaque mot sera directement reliée au sens qui lui correspond.

1.3. Comment les enfants apprennent-ils à identifier les mots écrits ?

L’apprentissage de la lecture nécessite donc l’acquisition de compétences spécifiques qui sont de deux types.

1.L’élève doit, d’une part, développer des capacités d’analyse conduisant au décodage des mots écrits. Il lui faut prendre conscience que le mot, à l’oral comme à l’écrit, est constitué d’unités, qu’à chaque unité orthographique correspond une unité phonologique spécifique. La prise de conscience de l’existence de ces unités (ou conscience phonologique) et l’apprentissage des correspondances entre unités orthographiques et phonologiques sont tout à fait fondamentaux. Ils permettent à l’élève d’appréhender toute forme orthographique nouvelle et de lui attribuer une phonologie plausible. Or, la plupart des mots que rencontre l’élève en début d’apprentissage sont des mots non encore connus qui ne peuvent être lus qu’à partir d’un traitement analytique (déchiffrement). Cette capacité d’analyse des mots écrits est indispensable en début d’apprentissage mais la lecture effectuée à partir d’un traitement analytique est lente et laborieuse. Très vite, l’élève va développer d’autres aptitudes le conduisant progressivement à une lecture aisée, axée sur le traitement du sens.

2.Parallèlement au développement de ses capacités d’analyse, l’élève doit se constituer un ensemble de connaissances lexicales orthographiques en mémorisant la forme écrite des mots qu’il rencontre au cours de ses lectures.
Le fait de garder une trace mnésique de la forme orthographique des mots qu’il a vus permet à l’élève de reconnaître immédiatement ces mots lorsqu’il les rencontre à nouveau et de leur attribuer globalement la forme phonologique (orale) souhaitée. Cette aptitude est fondamentale car elle permet un traitement quasi automatique du mot et libère les processus attentionnels qui peuvent alors être essentiellement dédiés au traitement du sens. Cette capacité de reconnaissance immédiate des mots, subordonnée à l’établissement d’un stock de vocabulaire orthographique, est nécessaire pour parvenir à une lecture aisée et rapide.

L’apprentissage de la lecture doit donc conduire à l’établissement de ces deux aptitudes complémentaires : l’une qui repose sur le traitement séquentiel des unités qui composent le mot (traitement analytique), l’autre sur sa reconnaissance orthographique (appréhension globale).

Une partie de la difficulté de l’apprentissage de la lecture tient au caractère flou des connaissances des jeunes élèves sur les caractéristiques et les règles de fonctionnement de l’écrit. Dès l’école maternelle par conséquent, l’enseignement doit présenter aux élèves les spécificités linguistiques de leur système d’écriture. Il doit en particulier leur permettre de comprendre :

1.quel est le parcours spatial de l’exploration visuelle de l’écrit qui correspond à la chronologie temporelle de la séquence orale associée (gauche - droite puis haut - bas dans les langues latines, mais droite - gauche puis haut - bas en arabe ou en hébreu) ;

2.ce que représentent les unités qui composent l’écrit. En français, comme dans toutes les langues alphabétiques, la plus petite unité de l’écriture est la lettre qui représente (à elle seule ou conjointement à d’autres) les phonèmes de la langue orale ;

3.quels sont les traits distinctifs des lettres dans les systèmes alphabétiques et quelles sont les différentes représentations de chacune d’entre elles (en cursive et en script, en minuscule et en majuscule) ;

4.quelles sont les réalisations sonores correspondant à chaque lettre et à leurs combinaisons licites. Par exemple, en français, eau est une combinaison permise mais pas uea. Dans des langues comme le français ou l’anglais (mais beaucoup moins dans d’autres comme l’espagnol, l’italien ou le serbo-croate), le même phonème peut être transcrit dans des graphies différentes ("o", "au", "eau") et la même graphie peut varier dans sa réalisation sonore ("en" dans tenir et dans tendre) ;

5.que les lettres sont des unités orientées et donc que, par exemple, "b" et "d" sont des unités différentes ainsi que "u" et "n" ;

6.comment identifier la frontière des mots ;

7.comment traiter les marques de ponctuation ;

8.enfin, que le sens des signes écrits est stable ; le même mot écrit se lit toujours de la même manière et, au-delà des variations de types de caractère et de l’écriture de chacun, le même mot oral s’écrit toujours de la même façon.

Ces connaissances ne s’improvisent pas, elles se construisent grâce à l’intervention structurée et progressive de l’école.

Conclusion sur l’identification des mots écrits

Le décodage est une condition nécessaire à la compréhension en lecture mais elle n’est pas une condition suffisante, c’est pourquoi il n’est pas rare de rencontrer de bons décodeurs qui ne sont pas de bons "compreneurs".

Ce n’est pas le traitement du code alphabétique en lui-même qui fait obstacle à la compréhension, mais le fait d’y consacrer toute son attention. Dans un tel cas, en effet, l’élève ne se préoccupe pas du sens du texte et ne peut le comprendre. L’enjeu n’est pas de contourner l’indispensable apprentissage du décodage, mais de le rendre tellement automatique que le lecteur pourra l’utiliser sans y consacrer trop d’attention et ainsi disposer de toute son intelligence au service de la compréhension.

II. LA COMPREHENSION

Des recherches ont été menées sur les compétences cognitives en cause dans la compréhension orale comme écrite : résolution d’inférences, contrôle textuel, modèle de situation, stratégie de lecture.

Les compétences en compréhension orale constituent une base indispensable à la compréhension du langage écrit. Pourtant, certains élèves ont un niveau de compréhension nettement plus superficiel et imprécis que d’autres, ce qui constitue une gêne, en particulier dans les activités scolaires.

La compréhension passe par deux types de traitements qui interagissent : le calcul syntaxique et l’intégration sémantique.

2.1. Le calcul syntaxique

L’activité de lecture se confine rarement à l’analyse d’un mot présenté seul. C’est le plus souvent dans une phrase que le mot sera lu. Le processus qui consiste à affecter un rôle aux mots dans la phrase est nommé calcul syntaxique. La compréhension de la phrase nécessite que l’on sache qui effectue l’action, qui en est l’objet, etc….
Just et Carpenter dénombrent 6 types d’indices qui vont permettre le traitement syntaxique de la phrase :
l’ordre des mots (sujet - verbe - complément)
la classe grammaticale des mots (nom, verbe, adjectif…)
les mots fonctionnels : il existe des mots qui ont un statut particulier, les connecteurs comme puisque, pendant, mais, si.
Les indices morphologiques : les connaissances liées à la morphologie des mots. Par exemple, l’affixe qui complète la racine des mots permet souvent de connaître la classe grammaticale du mot comme dans affirm -era (verbe)
Le sens des mots : les connaissances sémantiques sur le mot permettent elles aussi d’inférer son rôle. Par exemple, nos connaissances sémantiques permettent de savoir à quel syntagme rattacher le mot comme dans :
" Diana voit un hamburger avec de la moutarde" et "Diana voit un hamburger avec des lunettes"
la ponctuation : le point final indique la fin de la phrase, les virgules séparent les propositions

2.2. Le traitement sémantique : le modèle de situation

Outre le traitement syntaxique, il est nécessaire d’effectuer un traitement du sens de la phrase. Pour comprendre une phrase, il ne suffit pas de connaître le sens de chacun des mots. Il faut se faire une idée globale du sens de cette suite de mots. Pour comprendre une phrase ou un texte, il va donc falloir construire ce que le psychologue appelle une "représentation du message". Au niveau de la phrase, le lecteur doit donc transformer la suite de mots en une forme symbolique que l’on appelle "proposition". Une proposition correspond globalement à une idée (à différencier de la proposition grammaticale).

Dans la phrase "l’enfant lit", il existe une seule idée, une seule proposition. Une phrase peut être composée de plusieurs propositions. Par exemple, la phrase "le jeune homme attend devant la gare délabrée" comprend 4 propositions : l’homme attend ; l’homme est jeune ; l’homme est devant la gare ; la gare est délabrée.
Le temps de lecture des phrases est proportionnel au nombre de propositions qu’elles comportent.
Comprendre une phrase, c’est dans un premier temps effectuer une liste mentale des idées que contient cette phrase. La compréhension des phrases passe donc par une décomposition en unités symboliques, les propositions. De cette décomposition découle une liste de propositions.

Van Dijk et Kintsch (1983) ont proposé un modèle de la compréhension des textes. Selon eux, la compréhension est basée sur la construction d’un modèle mental de la situation.

Le texte présente une succession de mots, il est linéaire. Au contraire, le modèle mental va se représenter comme une structure relativement complexe dans laquelle les différentes informations du texte sont reliées entre elles par des relations causales, temporelles…

Trois niveaux de représentation sont utilisés : la microstructure, la macrostructure et le modèle de situation.

1er niveau : la microstructure

La microstructure du texte décrit la signification locale, littérale du texte. C’est la liste de propositions. Mais on ne peut pas mémoriser toutes les propositions. Notre mémoire est limitée. Certaines propositions vont être mémorisées, d’autres non.

2ème niveau : la macrostructure

Il faut établir une hiérarchie au sein de la liste de propositions, une sorte d’organigramme où seront rangées les propositions par ordre d’importance. Cette représentation hiérarchisée des propositions est appelée "macrostructure". A ce niveau ce sont les propositions importantes qui sont sélectionnées. Celles qui ne sont pas nécessaires à l’interprétation sont délaissées. Plusieurs propositions peuvent être réduites en une même proposition.

La macrostructure pourrait être assimilée à une sorte de résumé mental. C’est ce qui est conservé en mémoire. Les macropropositions et leur structure vont servir d’indices pour retrouver les micropropositions.
La macrostructure est constituée de propositions qui ne correspondent pas au contenu littéral du texte mais sont construites par le lecteur.

Par exemple, "Jean part en voyage en train" est une macroproposition construite à partir du contenu littéral : "Jean est allé à la gare, il a achetéunbillet, il s’est dirigé vers le quai".

Pourcomprendreun texte, l’enfant doit être capable d’élaborer une représentation mentale globale de l’ensemble des informations du texte, la macrostructure. Certains enfants sont incapables de construire cette macrostructure.

3ème niveau : le modèle de situation

Le troisième niveau permet de représenter les informations dans un modèle de situation.
Lorsqu’un texte est lu, les connaissances du sujet vont intervenir dans le processus de compréhension. En abordant un texte, des connaissances préalables sont mobilisées sous la forme d’un modèle de la situation décrite par le texte, ou encore modèle mental (Johnson-Laird). Il s’agit d’une représentation de ce qui est présenté dans le texte, représentation où interagissent les savoirs fournis par le texte et ceux du lecteur.

Représentation des évènements, des actions, des personnages, du monde décrit par le texte.

Il existe de nombreux travaux démontrant l’influence des connaissances du sujet sur le processus de compréhension. A ce titre, le lecteur peut utiliser ce qu’on appelle des scripts. Il s’agit d’une suite d’actions propres à un objectif. Ainsi, le script aller au restaurant sera probablement constitué des éléments : ouvrir la porte, choisir une table, commander, manger, régler l’addition…

Ce script activé en mémoire à long terme va fournir une sorte de structure qui aidera à la compréhension du texte. Le fait de fournir un titre explicite à un texte, par exemple "le dîner au restaurant" permettra d’activer le script correspondant et de faciliter la compréhension.

Une notion proche est celle de schéma. Ainsi, nous possédons un schéma pour le corps humain (membres, tronc, tête). Mais chacun de ces éléments peut être représenté lui aussi par un schéma (tête : bouche, œil, nez, etc). Des schémas particuliers sont propres aux types de textes eux-mêmes. Une fable est constituée d’un récit et d’une morale. Dans un texte narratif, on trouve une situation initiale, une action et une situation finale (schéma narratif). Ces connaissances fournissent des modèles possibles pour la macrostructure.

Les connaissances préalables du lecteur vont lui permettre d’effectuer des inférences, c’est-à-dire combler les trous sémantiques laissés par le texte. Par exemple : en lisant, "Jean roulait trop vite et les médecins sont réservés sur l’évolution de la situation", nous inférons que Jean conduisait une voiture, a eu un accident, a été hospitalisé et que son état de santé est critique.

Des études ont montré que les inférences sont sources de difficultés pour un lecteur non spécialiste du domaine du texte, et cela particulièrement pour un enfant dans son activité de découverte par la lecture.

En résumé, comprendre suppose l’activation en mémoire à long terme d’informations organisées en réseaux et la production d’inférences. Comprendre, c’est construire un modèle mental. Cette construction s’effectue progressivement par l’interaction entre :
un texte avec des caractéristiques (un lexique, une syntaxe, une structure) et contenant des informations
un lecteur qui a des caractéristiques propres et disposant de connaissances préalables, linguistiques et conceptuelles (les scripts, les schémas)

Celui qui entreprend de lire, même si c’est un enfant de CP, possède déjà un bagage culturel, des représentations mentales, des schémas narratifs, des connaissances préalables, c’est-à-dire une base de connaissances avec laquelle il va aborder le texte. On a montré que plus la base de connaissances du lecteur est importante, plus sa lecture est rapide et sa compréhension aisée. Si par contre le lecteur aborde un domaine qu’il connaît mal, sa lecture est plus lente et sa compréhension plus aléatoire. Le contenu du texte interagit donc avec la base de connaissance du lecteur, aboutissant à une forme cohérente globale appelée modèle de situation. La lecture, en retour, permet au lecteur d’élargir sa base de connaissances, qui s’enrichit donc avec le temps.

2.3. Les problèmes que rencontrent les enfants dans la compréhension

Perfetti et coll. (1996) ont dénombré six sources de problèmes de compréhension :

Des difficultés liées aux connaissances

1.l’étendue et la connaissance du vocabulaire

2.les connaissances du domaine qui peuvent aider le lecteur à interpréter le texte

Des difficultés liées aux opérations cognitives

3.des processus lexicaux : difficulté de décodage. Lorsque le décodage demande un coût cognitif important, le lecteur dispose de moins de ressources pour les processus de haut niveau comme la compréhension.

4.une capacité de mémoire limitée : celle-ci ne permet pas de maintenir simultanément en mémoire suffisamment d’informations pour pouvoir effectuer certains traitements nécessaires à la compréhension et notamment le traitement des inférences.

Ces 4 sources de difficultés peuvent affecter la compréhension de textes aussi bien des bons que des faibles compreneurs.

Deux autres sources de difficultés semblent distinguer les compreneurs efficaces des compreneurs moins efficaces :

5.les processus d’inférences

6.les stratégies de contrôle de la compréhension ou stratégies d’autorégulation : à la fin de chaque phrase et de chaque paragraphe, les fixations oculaires sont plus longues. Elles témoignent de la construction d’une représentation définitive de la phrase. Relecture / retours en arrière

Ce sont ces deux paramètres qui distinguent de manière constante, et cela dès le CE1, les meilleurs compreneurs des moins bons : la capacité à interpréter l’implicite au moyen d’inférences et la capacité à contrôler sa propre compréhension.

a)les problèmes liés à la production des inférences

Dans un texte, tout n’est pas dit. Il y a de l’implicite. Les inférences sont les opérations qui vont nous conduire à rendre explicite l’implicite. Les inférences réalisées pendant la compréhension peuvent être de diverses sortes et comporter des degrés de complexité également divers.

3 dimensions pour distinguer les différentes inférences

les inférences nécessaires et les inférences élaboratives

Les inférences nécessaires, comme leur nom l’indique, sont nécessaires à la compréhension d’un texte. Exemple : les anaphores (relation de référence)

Les anaphores : "toute expression dont l’interprétation dépend d’une entité mentionnée auparavant dans le texte est une anaphore". On distingue les anaphores pronominales, synonymiques et métaphoriques.

Exemples

Anaphore pronominale : "Maman prépare un gâteau pour Nicolas, elle le laisse brûler"

Anaphore synonymique : "Maxence et Marine jouent dans la cour de l’école, le garçonnet glisse et tombe à terre"

Anaphore métaphorique : "le loup entre chez la grand-mère, le monstre la dévore".

Les inférences élaboratives ou optionnelles renforcent et enrichissent la compréhension mais ne sont pas strictement nécessaires. Elles ne sont d’ailleurs pas systématiquement effectuées pendant la lecture. Par exemple, après la lecture de "Cet été, maman, mes deux sœurs et moi, nous avons pris le car et nous sommes allées au zoo" on peut inférer que le groupe est composé de "maman et ses 3 filles et / ou de maman et ses 3 enfants". Cette inférence enrichit la compréhension sans être vraiment nécessaire et n’est probablement que très rarement effectuée par les enfants.

les inférences logiques ou pragmatiques

Les inférences logiques découlent de la mise en œuvre des règles du calcul logique. Leur résultat est vrai, en principe, comme par exemple dans "Pierre est à droite de Paul et Paul est à droite de marie" Pierre est à droite de Marie".

"A la cantine, deux desserts sont proposés : une glace et une fruit. Laura n’aime pas les glaces" Laura choisira un fruit

Les inférences pragmatiques nous permettent de faire des déductions probables mais non certaines, fondées sur des connaissances usuelles sur le monde comme par exemple : "Ah ! C’était terrible ! Jamais je n’avais vu un animal aussi rapide avec des yeux aussi luisants et qui ronronnait aussi fort" qui peut conduire à l’inférence plausible mais non certaine : "il s’agit d’un chat sauvage".

"Sophie pédale jusqu’à la maison" : inférence probable mais non certaine : "Sophie se déplace à vélo"

Les inférences rétrogrades ou antérogrades

Une inférence est dite rétrograde quand elle consiste à relier l’information en cours de traitement avec la portion de texte déjà interprétée. Les inférences anaphoriques sont la plupart du temps des inférences rétrogrades.

On parle d’inférence antérograde lorsque le processus d’inférence vise à conserver les informations dans la mémoire de travail et la mémoire à long terme, les garder disponibles, et ainsi connecter l’information en cours de traitement avec quelque chose qui va suivre. Les anticipations rentrent dans cette catégorie d’inférences (l’inférence pragmatique ci-dessus "il s’agit d’un chat" formulée de cette manière est une anticipation).

Ce qui différencie les faibles compreneurs des forts compreneurs ce ne sont pas les réponses aux questions littérales sur le texte, mais aux questions inférentielles. Donc pour aider les faibles compreneurs, il faut les aider à rétablir la cohérence des informations, rendre explicite l’implicite du texte.

Exemple : "Sophie enfila sa veste mais la pluie redoublait d’intensité. Au lieu de sortir, elle fit des pâtisseries pour le dîner".

Une question littérale évaluant une compréhension superficielle : qu’a fait Sophie ?
Deux questions impliquant une inférence et évaluant une compréhension approfondie :
Pourquoi Sophie n’est-elle pas sortie ?
Où Sophie a-t-elle vraisemblablement passé l’après-midi ?

b)Les problèmes liés aux stratégies d’autorégulation de sa propre compréhension : le contrôle textuel
Evaluer sa propre compréhension et la réguler

Lorsqu’un lecteur habile lit un texte, il est capable d’en détecter les incohérences. Si la phrase qu’il est en train de lire semble être en contradiction avec ce qu’il a compris précédemment, il effectue un retour en arrière, pour vérifier et réguler sa compréhension. Si son interprétation première était erronée, il la corrige. Mais la reconnaissance des mots ne suffit pas pour lire « les poules du couvent couvent » ou « Il est plus à l’est ». La compréhension doit être ajustée lorsque la reconnaissance des mots est délicate (comme dans le cas des homographes), utilisant alors la conscience syntaxique. La prise d’indice syntaxique (ordre des mots, accords, conjugaisons, mots de liaison, ponctuation) favorise la compréhension.

Pour comprendre, l’enfant doit être actif. Or beaucoup d’enfants sont passifs pendant la lecture.
Les faibles compreneurs construisent des modèles mentaux de la situation souvent partiels, non intégrés dans un modèle général. Cela est dû à une passivité particulière devant le texte.

Ils ne font pas de retours en arrière. Ils ne relisent pas. Ils ne s’arrêtent pas quand ils ne comprennent pas.
Ils ne savent pas quand faire des inférences. C’est dû à une difficulté pour évaluer et réguler leur compréhension (en particulier ils détectent moins les incohérences, les contradictions).

2.3. Stratégie de lecture

Il est évident que la stratégie de lecture diffère, chez le lecteur habile, en fonction du support utilisé et du but recherché. Je n’ai pas la même façon de lire, lorsque je cherche un numéro de téléphone dans un annuaire, que je consulte une recette de cuisine pour préparer un déjeuner entre amis, que je lis un roman policier pour me détendre, ou les gros titres d’un quotidien ou encore lorsque j’aborde un article scientifique ardu. Ma connaissance des genres littéraires, des modes d’énonciation et des différents supports me permet d’adapter ma stratégie de lecture au but recherché. Il y a en quelque sorte interaction entre le lecteur et le texte.

2.4. Doit-on enseigner la compréhension ? : Apprendre à comprendre

On a parfois tendance à considérer que la résolution des inférences, le contrôle textuel, l’utilisation de sa base de connaissances, ou l’adaptation de sa stratégie de lecture au support considéré vont de soi. Il n’en est rien. Comme nous venons de le voir, comprendre nécessite la mise en œuvre d’un ensemble de processus cognitifs qui ont besoin d’être entraînés. Un certain nombre d’enfants risquent de rester à un niveau très superficiel de compréhension, si un travail spécifique dans ce domaine n’est pas proposé à l’école maternelle et élémentaire. Il serait dommage d’attendre l’entrée en CP pour travailler la compréhension. L’écrit oralisé est un très bon outil à l’école maternelle.

Pour améliorer la compréhension, on doit aider la construction d’un modèle mental intégré et pour ce faire on doit entraîner les opérations très générales de la compréhension. Entraîner des habiletés spécifiques prépare et facilite la compréhension de texte.

Certaines pratiques qui ont été évaluées entraînent des effets significatifs. (enquête "National Reading Panel, 2000)

Repérer les superstructures textuelles (schéma narratif), repérer les principales caractéristiques d’un texte (documentaire, instrumental, imaginaire…)

Repérer la structure des histoires  :

suivre l’organisation temporelle et causale des évènements

Répondre à des questions en "qui, comment, où, quand et pourquoi", dont les réponses sont corrigées immédiatement par le maître.

Se poser des questions  : apprendre à se poser des questions en "qui, comment, où, quand et pourquoi" ; apprendre aussi à anticiper.

Résumer : identifier les idées principales qui intègrent l’ensemble dans une structure unitaire et cohérente

Travailler, modifier le texte pour faciliter la tâche du lecteur, pour attirer son attention

Produire des titres, des mots clés, des résumés pour faciliter l’intégration en mémoire, travailler la typographie pour attirer l’attention du lecteur : gras, illustrations, schémas, positionnement des éléments, présentation du texte en paragraphe, mots importants soulignés

Utiliser des organisateurs graphiques ou sémantiques qui permettent de représenter graphiquement la signification et les relations entre les idées.

Entraînement aux marques

Apprendre à utiliser les connecteurs : ce sont tous les termes qui assurent l’organisation d’un texte (les conjonctions mais, donc, car ; les adverbes alors ensuite … ; et les groupes prépositionnels d’une part, d’autre part…)

Le traitement des marques linguistiques de cohésion est déterminant, en particulier celui des connecteurs. Mais c’est surtout le traitement des anaphores pronominales qui est déterminant.

Apprendre à produire des inférences

Apprendre à faire des inférences nécessaires, élaboratives, pragmatiques, logiques.

Comprendre un énoncé est un processus actif dont le but est de construire une représentation mentale du contenu de l’énoncé. L’enfant s’appuie sur ses connaissances afin d’en tirer des inférences qui sont déterminantes pour la compréhension. C’est cela qui fait la différence entre bons et mauvais compreneurs.

Apprendre à se représenter la situation décrite par le texte

Travail d’intégration du texte en faisant appel à l’imagerie et à la verbalisation

Entraînement à la gestion de la compréhension

Entraînement à être actif sur le texte, sur sa compréhension, à avoir une attitude réflexive. Les enfants ont rarement cette attitude.
Etude des processus que les enfants mettent en œuvre au cours de la lecture. Il s’agit de les regarder faire, de mesurer le temps de lecture. Dans ce domaine, deux études récentes :
Une sur l’emploi du jeu de rôles : être le maître chacun son tour et poser des questions sur la compréhension (Ann Brown 1984)
Une autre sur l’instruction directe : le maître prend un texte inconnu et montre, explique comment il fait pour comprendre (arrêts, se pose des questions…) (Paris et Presley, sur 40 semaines d’entraînement). L’efficacité de cette méthode est mesurée et réelle.

Enseignement de stratégies multiples  : il s’agit d’utiliser plusieurs procédures en association (dont celles décrites ci dessus) dans une interaction maître-élève.

Présenter un outil pour améliorer la compréhension à l’oral : classeur compréhension GS / CP

CONCLUSION

La compréhension est un phénomène complexe qui pour l’essentiel se déroule à notre insu. Pourtant comprendre le langage est parfois source de difficultés. On peut aider l’enfant à les résoudre.

Avoir un bon niveau de décodage ne suffit pas pour comprendre un texte. Il faut traiter les inférences, l’implicite, les marques anaphoriques. Comprendre c’est rarement comprendre ce qui est dit, c’est surtout comprendre ce qui est dit et ce qui n’est pas dit. Une cause d’échec : c’est la lecture plate, vide qui ne s’interroge pas, qui ne revient pas sur elle-même.

Les enfants, d’une manière générale, comprennent très lentement, c’est une des raisons pour lesquelles ils demandent qu’on leur lise souvent les mêmes histoires. Ne pas leur parler trop vite. Redire plusieurs fois les textes pour aider l’enfant à construire des modèles mentaux unifiés, pas partiels (exemple des ateliers de lecture partagée avec les albums).
Montrer les chemins, les stratégies de compréhension. Enseigner les clés pour comprendre.

Le décodage et la compréhension sont des activités cognitives complexes qu’il est nécessaire de connaître et d’analyser pour mettre en place des stratégies d’apprentissage et de remédiation efficaces. La lecture est l’outil numéro 1 de la réussite scolaire : 50% des difficultés en maths proviennent de difficultés en lecture.

Dans ce courant et pour la première fois depuis sa création, l’Observatoire National de la Lecture préconise des pratiques spécifiques. Les nouveaux programmes (février 2002) sont également orientés vers la maîtrise de la langue et l’enseignement de la compréhension.

Post-scriptum

Références bibliographiques

- Gombert, JE., Colé, P., Valdois, S., Goigoux, R., Mousty, P. & Fayol, M. (2000). Enseigner la lecture au cycle 2. Paris : Nathan Pédagogie.

- Observatoire National de la Lecture, ouvrage collectif dirigé par José Morais. (1998). Apprendre à lire au cycle des apprentissages fondamentaux. Paris : Odile Jacob / CNDP.

- Classeur compréhension (Cycle 2 - GS / CP et CE1 en soutien). (2002). Les éditions de la cigale. (Extraits gratuits sur le site www.editions-cigale.com/club)