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Par : G R
Publié : 15 décembre 2004
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Peut-on faire des sciences et de la technologie au cycle 1 ?

Par Jean-Michel Rolando, professeur en sciences et technologie à l’IUFM de Bonneville

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Il ne suffit pas de manipuler ou de "fréquenter" des "objets scientifiques" ou des "objets techniques" pour faire des sciences ou de la technologie. Encore faut-il que cela débouche sur des connaissances plus précises et que les activités conduites accompagnent efficacement l’évolution d’une pensée en pleine structuration. Il s’agit bien, à terme, de construire des connaissances pouvant être qualifiées de scientifiques ou de techniques : ce fascicule propose des exemples qui permettront de les cerner au mieux et de définir un niveau de formulation adapté à l’âge des élèves. En même temps, il importe de ne pas se centrer exclusivement sur les connaissances scientifiques visées, faute de ne pas suffisamment s’intéresser aux évolutions des raisonnements des élèves.
Faire des sciences et de la technologie au cycle 1 donne l’occasion de porter un regard curieux et inventif sur le monde tout en « expérimentant les instruments du travail intellectuel(1) » qui, à terme, permettront de raisonner, d’étudier des phénomènes et d’agir sur le monde de la matière et des objets pour les adapter à ses besoins.
L’un des objectifs importants de l’éducation scientifique à l’école maternelle, c’est de confronter les élèves aux « contraintes de la pensée logique(2) » et ainsi de contribuer à la construction de ces instruments intellectuels.

Quelles activités intellectuelles au cycle 1 ?
À cet âge, l’enfant est particulièrement sensible au "pouvoir" qu’il exerce sur ce qui l’entoure. Lorsqu’il manipule, il s’intéresse à lui, à son action, à ses sensations, à ses capacités. Un enfant a tendance à démonter voire à casser. Ce n’est pas, en général, pour observer ce qui est dans l’objet ni nécessairement par malveillance, mais tout simplement pour éprouver le pouvoir qu’il a sur cet objet.
Un exemple à propos de la manipulations d’aimants
Au cours de ses essais spontanés, un enfant découvre qu’un aimant attire un trombone même à travers l’épaisseur de la table. Il fait part de sa découverte par une phrase comme : « regarde ce que je suis capable de faire ». Un autre enfant, voulant essayer, échoue parce qu’il n’a pas un aimant suffisamment intense. Il persiste sans changer les conditions de l’expérimentation puis finit par se désintéresser du phénomène. Le premier enfant continue : « Je suis plus fort que toi ».
Cette anecdote vise à illustrer des comportements fréquemment observés au cycle 1 et débouche sur l’attitude souhaitable du maître :
- qui doit aider le second enfant à persévérer dans ses essais, sans lui donner "la" solution, mais en l’incitant par ses questions à faire varier les conditions de son expérimentation : « et si tu changeais d’aimant ? et si tu changeais de table ? et si tu changeais de trombone ? »
- mais qui doit également conduire le premier enfant, par le même genre de questions, à comprendre les raisons scientifiques de sa réussite.
Des événements aux faits scientifiques
Faire des sciences, c’est donc se dire que le monde existe indépendamment de soi et de sa propre volonté, et qu’il est partiellement intelligible. C’est mener une activité à la fois imaginative et organisée sur ce qui se produit devant nous. Il peut être intéressant de distinguer les événements des faits scientifiques. Les premiers sont clairement situés dans l’espace et dans le temps : ils se déroulent quelque part et à un instant donné, ils sont souvent le fait du hasard ou des circonstances. Les seconds sont généraux. Ils ne dépendent pas totalement du lieu et de l’instant mais de conditions expérimentales. Ils sont reproductibles en d’autres lieux et en d’autres moments. Ils ne sont pas le fait du hasard ou des circonstances.
Des raisonnements de cause à effet aux énoncés généraux
Pour étudier un phénomène à l’école maternelle, on peut essayer d’identifier ses causes et de déterminer les conséquences de telle ou telle modification (si l’épaisseur du plateau de la table augmente, l’aimant finira par ne plus attirer le trombone). La connaissance qui en résulte présente un certain degré de généralité (un aimant attire même à travers un écran).
Des formulations enfantines peuvent toujours se manifester par des expressions qui présentent des ressemblances formelles avec les énoncés scientifiques : « le chat a des griffes pour attraper les souris » ou, en cas de courant d’air, « la porte s’ouvre parce le vent veut entrer ». L’enseignant doit conduire ses élèves à comparer différents énoncés qui, s’ils sont très différents au plan de leur signification scientifique, demeurent très voisins au plan de la compréhension que les enfants peuvent en avoir : « le chat a des griffes pour attraper les souris » ; « le chat a des griffes donc il peut attraper les souris » ; « le chat peut attraper les souris parce qu’il a des griffes »...
Les limites de la causalité simple
Les sciences ne sont pas simples. C’est le plus souvent un ensemble de causes, qu’il n’est pas toujours possible de déterminer de manière exhaustive et univoque, qu’il faut considérer pour expliquer un phénomène.
Reprenons l’exemple du chat. S’il peut attraper les souris c’est non seulement parce qu’il a des griffes mais aussi parce qu’il peut se déplacer lentement et en silence, parce qu’il est capable de bondir, de courir plus vite que les souris, de rapidement changer de direction... Bref, c’est un ensemble de causes qu’il faudrait considérer. De manière encore plus fondamentale, les scientifiques ne se demandent pas pourquoi le chat peut attraper les souris mais quelles sont ses caractéristiques qui lui permettent d’être particulièrement adapté à la chasse aux petits rongeurs. Les questions scientifiques ne se formulent pas toujours en termes de "pourquoi" mais plus souvent en termes de "comment", "à quelles conditions", "quelles caractéristiques", etc.
Sans viser le moindre formalisme, il reste possible et souhaitable de faire appréhender partiellement cette complexité aux élèves de cycle 1 en s’appuyant sur les situations rencontrées. Pour reprendre l’exemple des aimants déjà évoqué, le maître pourra utilement conduire ses élèves à comprendre que le phénomène dépend de deux variables : « l’aimant n’attire pas le trombone parce qu’il n’est pas assez "fort(3)" ou parce que la table est trop épaisse ».

Quelles conséquences langagières ? (4)
« Lorsque [les élèves] quittent l’école maternelle, ils peuvent construire des énoncés complexes et les articuler entre eux pour [...] expliquer un phénomène »(5). Pour y parvenir, il s’agit de faire évoluer les compétences langagières en même temps que la connaissance scientifique : « à cet âge, le travail du langage est obligatoirement lié à une activité ou à un moment de vie quotidienne (6) ». Il se développe dans deux directions :
- le lexique qui s’enrichit, s’affine et se spécialise grâce aux situations vécues
- la syntaxe qui rend compte de la structure de l’activité et de ses spécificités disciplinaires.
Le langage oral
Le caractère général des sciences se traduit par des formes langagières particulières qui rendent compte de cette généralité.
Un exemple à propos de glace
Un élève est tombé en glissant sur une plaque de glace. Voici différentes évolutions possibles dans la manière de rendre compte de l’événement, puis d’en chercher ses causes et enfin de généraliser.
« Je suis tombé, j’ai glissé, je me suis fait mal » (formulation relatant un événement vécu).
« Ce matin il y a de la glace dans la cour et j’ai glissé » (inscription de l’événement dans l’espace et dans le temps ; début de mise en relation entre deux événements : la présence de glace et la chute ; mais le connecteur "et" n’est pas approprié).
« Je suis tombé parce qu’il y a de la glace dans la cour » (relation de cause à effet ; utilisation du connecteur logique "parce que").
« Je suis tombé parce qu’il y a de la glace dans la cour et parce que j’ai couru » (la présence de glace n’est pas la seule cause de la chute).
« S’il y a de la glace sur le sol, si on coure et si on ne fait pas attention, alors on risque de tomber » (on énonce les conditions qui rendent la chute probable ; les enfants commenceront par utiliser la conjonction "quand" ou "lorsque" à la place de "si").
« Il y a de la glace dans la cour, donc ça glisse » ou « ça glisse parce qu’il y a de la glace dans la cour » (énoncé d’une relation de cause à effet ; remarquer l’abandon de la première personne et l’utilisation du présent : on ne parle plus de la chute mais d’une caractéristique du sol ; la formulation devient générale).
« La glace est glissante » (propriété générale de la glace, vraie quels que soient le lieu et
la date = fait scientifique).
Le langage écrit
Dès la PS l’un des objectifs est de faire « découvrir les principales fonctions sociales de l’écrit(7) ». On utilise en sciences différentes traces écrites (au sens large) qui se présentent sous différentes formes et qui ont chacune une fonction particulière : une liste (pour ne rien oublier), un tableau (pour comparer facilement), un dessin (pour décrire une expérience), une phrase (pour rendre compte d’une observation ou d’un résultat) ...
Le cas des dessins
Spontanément, les dessins des enfants n’ont aucune des caractéristiques qu’on attendrait d’un dessin scientifique. Ils sont davantage la manifestation du vécu et très empreints d’affectif. Les mêmes évolutions sont à aménager : dessiner les objets et non les enfants qui manipulent ; réaliser plusieurs dessins dans le cas d’un phénomène qui évolue dans le temps ...
Plus généralement
Conformément à ces exemples, la préoccupation des enseignants doit être d’aménager la transition entre le vécu personnel et immédiat, et le caractère général et complexe des sciences et de la technologie.
Cette transition est nécessairement très progressive et peut ne pas être totale au cours d’une séquence, notamment en P.S. Pour reprendre l’exemple de la glace, on peut penser que la transition entre « Je suis tombé, j’ai glissé, je me suis fait mal » et « Il y a de la glace par terre et ça glisse » est déjà une étape significative en P.S. Peut-être ne sera-t-il pas possible d’aller plus loin... C’est le cas aussi de l’évolution des dessins qui reste très difficile avant la fin de la M.S.

Le tableau ci-dessous résume les évolutions souhaitables dans les raisonnements, la manière de les formuler et la manière de les représenter.

Des
événements…

…Aux
faits scientifiques

Caractéristiques
générales

  • liés au vécu ;
  • souvent subjectifs ; dépendants des circonstances ;
  • situés dans l’espace et dans le temps ;
  • liés au hasard ou aux circonstances
  • peu prévisibles
  • indépendants du vécu ;
  • objectifs ; généraux ;

  • indépendants
    du lieu et du moment ;
  • dépendants de conditions
    expérimentales ;
  • reproductibles.

Caractéristiques
des raisonnements

Pas
de liens ou liens inappropriés : raisonnements enfantins
(le chat a des griffes pour attraper des souris).

Raisonnements
de cause à effet plus ou moins élaborés
(causalité simple ou multiple).

Caractéristiques
langagières

  • pas de connecteurs logiques ou connecteurs inappropriés ("et",
    "pour que"...) ;
  • description des circonstances (ce matin, dans la cour) ; verbes
    souvent au passé (j’ai glissé) ;
  • utilisation fréquente de la première personne : le
    sujet de la phrase est l’enfant lui-même (je peux attirer le
    trombone).
  • présence de connecteurs logiques (parce que...) ;
  • marques explicites de la généralité (toujours,
    chaque fois que), de la condition (si...) ;
  • verbes
    au présent (la glace est glissante) ;
  • utilisation de la troisième personne : le sujet de la
    phrase est l’objet d’étude (l’aimant attire le trombone).

Caractéristiques
des représentations (dessins)

  • représentation des personnages, des décors, des
    détails, des couleurs ... pas de sélection entre
    ce qui est significatif et ce qui ne l’est pas ;
  • un seul dessin pour représenter l’événement.
  • représentation épurée ; seul l’objet
    d’étude est représenté ; sélection
    des aspects à représenter, abstraction des détails
    inutiles ...
  • le nombre des dessins dépend de ce qui est scientifiquement
    significatif.

Post-scriptum

(1)Qu’apprend-on à l’école maternelle ? Les nouveaux programmes, CNDP/XO Éditions, 2002, p. 65.
(2)Ibid., p. 120.
(3)Il serait plus correct de dire "intense" au lieu de "fort". Mais ce dernier terme semble préférable compte tenu de l’âge des élèves concernés.
(4)Ce paragraphe est à rapprocher des autres textes officiels précisant les apprentissages à conduire dans le domaine de la langue et, tout particulièrement, des programmes de l’école maternelle. En outre, une rubrique de ce fascicule développe la question du langage en sciences plus largement que cette introduction.
(5)Qu’apprend-on à l’école maternelle, op. cit., p. 70.
(6)Ibid., p. 72.
(7)Qu’apprend-on à l’école maternelle, op. cit., p. 79.