1. Acquisition du langage chez l’enfant
Le développement normal du langage
Le nourrisson est capable d’une perception auditive élaborée de la parole. A 4 mois, le nourrisson est capable de discriminer les syllabes à faible contraste phonétique comme Pa/Ba. On admet que l’être humain a une aptitude innée et universelle à percevoir dès la naissance les contrastes phonétiques, mais ces aptitudes vont progressivement se restreindre pour ne concerner que les phonèmes de la langue maternelle (vers 10-12 mois). Le nourrisson est aussi capable d’identifier les mots dans le flot de paroles. Il exploite les marqueurs prosodiques : l’intonation de la voix, le visage de l’adulte locuteur, la forme de la bouche lors de la prononciation des phonèmes ou des syllabes.
Les expressions faciales contribuent au développement phonologique et à l’acquisition de la parole, d’où un moindre babillage observé chez les enfants aveugles, parce qu’ils sont dans l’impossibilité d’identifier visuellement les expressions du visage. Sur le plan cognitif, l’hémisphère cérébral gauche est spécifiquement et précocement dévolu au traitement perceptif de la parole. L’hémisphère droit est spécialisé dans la perception auditive de la musique, la prosodie, la perception visuelle des visages, le traîtement des informations visuo-spatiales et l’analyse typographique.
Pendant toute la période pré-scolaire, le jeune enfant va apprendre à articuler les mots de la langue maternelle, parallèllement à la maturation des organes phonateurs, du contrôle respiratoire de la phonation et à la sélection d’un répertoire de phonèmes, notamment les syllabes chargées de sens (wawa). L’articulation des consonnes m/p/b est acquise vers 3 ans, 3 ans et demi, puis les autres : d/t/n/... vers 4 ans, 4 ans et demi. Vers 6, 7 ans, l’enfant maîtrise l’ensemble du tableau articulatoire en particulier z/s.
Chronologiquement :
vers 1 an : l’enfant comprend 50 mots environ, mais n’en prononce que quelques uns.
vers 2 ans : début d’une syntaxe ordonnée avec sujet, verbe et apparition du moi.
vers 3 ans : acquisition du "je" et des pronoms tu, il, des articles définis (le, la, ...), des prépositions (à, dans, sur, ...) et surgénéralisation grammaticale (le glandier, j’ai prendu)
vers 3 ans et demi : il comprend des phrases telles que "le cheval blanc renverse la barrière jaune", mais pas les tournures passives "la barrière jaune est renversée par le cheval".
vers 4 ans : il comprend les formes indirectes de requête, les allusions.
vers 5 ans : il comprend des situations non familières.
Il faut insister sur l’importance de la communication et de la relation mère-enfant qui s’instaure dès la naissance. La qualité de cette interaction conditionne directement l’acquisition du langage oral. On l’a vu plus haut, le bébé comprend la parole de la mère par les intonations, les mimiques et les mouvements de la bouche, plus que par le mot lui-même. La mère doit donc être attentive à parler à son enfant, à le placer en situation d’interlocuteur, à utiliser différentes formes de phrases, à varier le vocabulaire et à transmettre de l’affectif dans cet échange. Les enfants ayant souffert d’un isolement, de privations affectives, de troubles psychologiques chez la mère présentent des troubles importants du langage oral. Les relations mère-enfant permettent l’instauration d’un dialogue se manifestant par les tours de parole et le face à face.
L’organisation fonctionnelle du langage
On peut considérer le langage comme organisé d’unités particulières, celles-ci étant successivement acquises par l’enfant au cours du développement.
L’aspect phonologique et phonémique : prononciation des syllabes et des phonèmes.
L’aspect syntaxique : organisation séquentielle des mots dans la phrase et règles grammaticales.
L’aspect sémantique : le sens et la signification véhiculés par le mot (catégorisations).
L’aspect pragmatique : intentions, allusions, requêtes véhiculées par les mots.
A 6 ans, un enfant doit maîtriser tous ces aspects du langage.
En pathologie, il est important d’évaluer chacun de ces aspects.
Troubles d’ordre phonologique
C’est le trouble articulatoire avec un phonème ou une syllabe mal articulé. Ceci est généralement dû à une immaturité des organes phonateurs ou à un mauvais placement de la langue (sigmatisme). Il faut attendre 5 à 6 ans pour que l’enfant parvienne à articuler correctement tous les phonèmes de la langue. Un trouble de l’audition influence le trouble articulatoire, mais l’inverse se produit aussi : la manière d’articuler les phonèmes a un effet-retour sur la perception car la représentation phonologique du mot est instable.
Troubles d’ordre syntaxique ou grammatical
Il y a omission des prépositions, des pronoms, des mots fonctionnels, et souvent une absence d’inflexion verbale. Les enfants atteints de ces troubles n’utilisent pas les articles, les marques du pluriel. La compréhension est inférieure à la normale pour les phrases complexes (exemple : le livre sur la table est marron). les erreurs peuvent aussi porter sur l’ordre des mots (trouble du traitement séquentiel de la parole). Ces troubles sont fréquents chez les enfants des REP.
Troubles d’ordre sémantique
Les erreurs de langage sont de type paraphasies lors de la désignation d’images (front pour tête ; castor pour écureuil) ou des erreurs d’approche, d’approximations (sécateur = truc pour couper).
Troubles d’ordre pragmatique
L’enfant n’utilise pas ou peu le langage sous forme de requête, d’intentions, d’explications. Il éprouve des difficultés à utiliser le langage comme acte de communication inter-individuelle.
2. Reconnaître un trouble du langage oral
Distinguer les retards de la pathologie
Eliminer ce qui n’est pas un trouble, notamment les enfants petits parleurs (les inciter à prendre la parole ; cela est lié à la personnalité, aux affects, aux habitudes, à la confiance en soi, ...), et les enfants en sous-stimulation langagière qui ne possèdent pas le vocabulaire ou la syntaxe suffisants (milieu socio-culturel et/ou affectif pas assez stimulant).
Pour ce type d’enfants, l’école est un stimulateur puissant qui peut suppléer tout ou partie aux difficultés de l’enfant - à condition de reconnaître les besoins de cet enfant et de travailler aussi sur l’aspect relationnel entre l’enseignat, l’enfant et le groupe.
Devant un enfant qui parle mal, on va évaluer :
Le niveau du trouble : phonologique, syntaxique, sémantique ou pragmatique (c’est moins grave si le trouble est seulement phonatoire).
Si le trouble touche l’expression, la compréhension, ou les deux. (à évaluer surtout en GS)
Les deux types de troubles les plus importants à repérer sont le retard simple de langage et la pathologie spécifique du langage oral, qu’on appelle la dysphasie de développement.
Le retard simple de langage se manifeste sous forme d’un décalage dans l’acquisition du langage oral :
L’enfant parle mal
Tous les niveaux peuvent être touchés.
Son langage correspond à celui d’un enfant plus jeune (retard de parole ; premiers mots prononcés tardivement, le "je" acquis après trois ans, mots parfois tronqués)
Inversion fréquente de l’ordre des mots
Mauvaise utilisation des pluriels, des conjugaisons, des articles.
Mais cet enfant communique bien avec son entourage et ne présente pas de trouble de la compréhension, et le trouble du langage s’améliore pour se combler vers 5-6 ans. L’école et l’orthophoniste peuvent l’aider à progresser plus rapidement.
Sous le terme de dysphasie, on regroupe un grand nombre de difficultés du langage, allant du retard qui ne s’amende pas avec l’âge, à l’absence totale de langage. Ce trouble touche 1 à 2% des enfants (2/3 de garçons pour 1/3 de filles). Il touche l’expression et:ou la réception, c’est à dire la compréhension. Par rapport au retard simple, les difficultés de langage au niveau compréhension, phonologie, vocabulaire et syntaxe ne s’améliorent pas et persistent au delà de 6 ans.
La dysphasie est une pathologie neuro-cognitive qui atteint les aires cérébrales dévolues au langage, visualisée en imagerie cérébrale (absence de dominance langagière de l’hémisphère gauche). Ces enfants présentent :
des troubles de la répétition des mots, souvent tronqués, encore plus marqués dans la répétition de phrases. On peut le remarquer aussi dans la répétition de rythmes simples.
des perturbations phonologiques : omissions de phonèmes ou de syllabes, simplifications, duplications, ...
un retard morphosyntaxique global, mauvaise utilisation des pronoms, des adverbes, des règles grammaticales.
On retrouve des enfants qui parlent peu et mal, avec des énoncés pauvres, des erreurs syntaxiques et grammaticales, utilisant l’énumération ou la description, ou à l’inverse, des enfants plus prolixes don’t le discours est abondant et peu cohérent, chaotique, sans respect de l’ordre.
Classiquement, la dysphasie est isolée, sans retard mental associé, sans trouble majeur du comportement, sans déficit sensoriel. Toutefois, ce trouble perturbe toutes les relations et interactions-notamment intrafamiliales- et a fortiori a des répercussions dans la mise en place de l’échange mère-enfant et sur la structuration de la personnalité de l’enfant. Par ailleurs, le langage participe à la structuration de la pensée et au développement cognitif, et les troubles du langage vont donc interférer avec ce développement.
Ce qui distingue l’enfant dysphasique de l’enfant psychotique est l’absence de retrait. Le contact avec l’enfant dysphasique est facile, la communication même gestuelle est établie. L’enfant joue avec ses pairs, et recherche le contact. Toutefois, les difficultés de langage sont souvent associées à des difficultés affectives : ces enfants, en souffrance, sont facilement émotifs, impulsifs - avec des colères fréquentes - instables, et dons mis à l’écart par les autres.
La seule distinction entre le retard simple et la dysphasie est d’ordre chronologique : l’un se résorbe avec le temps et l’autre pas. En pratique, un trouble du langage oral peut être considéré comme grave si :
il persiste au delà de 5 ans et demi
il porte sur tous les niveaux langagiers
il s’associe à des troubles de compréhension, de mémoire immédiate
il n’y a pas de progrès et le décalage se creuse avec les autres enfants
De même, un retard simple de langage n’est pas un simple retard, car il peut toucher tous les autres domaines cognitifs et les secteurs d’acquisition, donc créer des difficultés et des problèmes relationnels, et s’aggraver en retour.
Le dépistage par l’enseignant
Voir questionnaire de Chevrier-Muller.
Définir le type de trouble
Evaluer l’aspect réception et production
Evaluer la qualité de la communication et de la relation
Rechercher les déficits psychomoteurs et/ou d’apprentissage associés
Le questionnaire de Chevrier-Muller peut être utilisé pour préciser l’évaluation ds difficultés (une désorganisation spacio-temporelle, et un manque de mémoire immédiate peuvent accompagner les troubles du langage). Le bilan de 6 ans, utilisé par la médecine scolaire a pour objet de dépister les enfants en difficulté de langage, et susceptibles d’avoir des difficultés pour l’apprentissage de la lecture.
Repérer les partenaires dans et hors de l’institution
L’enseignant peut conseiller à la famille de consulter un orthophoniste qui fera un bilan de langage et des domaines cognitifs associés. C’est le médecin traitant qui établit une ordonnance pour le bilan, puis les séances éventuelles.
Dans l’institution, l’enseignant peut demander l’avis du médecin scolaire qui a un rôle fondamental dans l’évaluation du trouble du langage oral :
il précise le type de trouble, le niveau langagier spontané, le vocabulaire
il élimine une surdité, voire un retard mental ou autre pathologie en relation avec un trouble du langage oral
il recherche des déficits associés en évaluant le niveau psychomoteur
il évalue le développement de l’enfant et le contexte familial
il prescrit le bilan orthophonique
en cas de dysphasie suspectée, il aide à l’aménagement et au soutien dans l’école
il dépiste les enfants à risque avec le bilan de 6 ans
Autisme et mutisme, deux pathologies de la communication
Les enfants autistes se caractérisent par un ensemble de critères très définis :
Défaillance des interactions sociales (altération des relations socio-affectives avec comportement de retrait, souvent imprévisible). Ces enfants élaborent une coopération limitée avec les autres enfants, une incapacité à former des liens d’amitié, une rigidité dans l’usage des jeux et des matériaux, une indifférence aux sentiments et aux réponses des autres.
Retard sévère de langage : utilisation rare du langage pour la communication interindividuelle, production écholalique (répétition en écho d’une syllabe, d’un mot, d’une phrase), évolution dysharmonieuse. Tout petits, ces enfants donnent l’impression d’un langage intérieur pauvre : pa&uvreté de la communication gestuelle, mimique figée, pas de jeux symboliques, manipulation stéréotypée des objets ... ce qui les distingue des enfants dysphasiques.
Comportement ritualisé et compulsif face à soi-même, aux objets et aux situations.
Déficit intellectuel fréquent
Anomalies neurologiques (retard dans le développement psychomoteur)
Les symptômes surviennent avant 30 mois.
Le mutisme est un refus persistant de parler devant certaines personnes ou dans certaines situations. Il ne s’agit pas d’un trouble du langage mais d’un trouble psychopathologique (évitement d’une situation porteuse d’angoisse). Le mutisme total acquis survient le plus souvent après un choc affectif, en particulier à l’adolescence. Il est passager et doit être distingué du mutisme électif durable, intrafamilial ou dans le contexte scolaire, apparaissant vers 5-7 ans, et pouvant durer plusieurs années. Le lien qui unit la mère et l’enfant est toujours très fort, et le langage est investi comme une menace envers ce lien. Mais, malgré une apparente adaptation de surface, notamment par une réussite scolaire à l’écrit, ce mutisme marque souvent des troubles profonds de la personnalité et révèle parfois un secret familial.
3. Projet pédagogique et/ou thérapeutique
Evolution des troubles de langage
Le retard de langage présente une fragilité à l’apprentissage de l’écrit. En revanche, les enfants ayant récupéré un langage normal à 5 ans n’ont pas de risques significatifs pour l’apprentissage de l’écrit.
L’aide à l’enfant
Projet pédagogique
Faire répéter de façon profitable, c’est à dire, sans interrompre la communication quand elle est établie.
Instaurer des moments de langage particuliers (duels ou petits groupes) avec objectifs différents selon le trouble.
Ne pas rééduquer à la place de l’orthophoniste, mais en prenant en compte les points faibles de l’enfant, et toujours positiver, encourager, noter les progrès, permettre de réussir dans un autre domaine.
Projet thérapeutique
Si le trouble persiste, il s’avère nécessaire de faire appel au psychologue, à l’équipe de santé scolaire, pour un bilan et/ou de conseiller à la famille de consulter un orthophoniste. Si besoin, contrat d’intégration et aménagements spécifiques.
4. Réponses à quelques questions
Bredouillement-bégaiement
Un enfant bredouille quand il veur parler trop vite. Ce problème passe avec l’âge. On peut demander à l’enfant de répéter en parlant plus lentement. Se corrige facilement. Un enfant bégaie quand il ne parvient pas à prononcer certains sons, ou répète la même syllabe. Il s’agit d’une grosse tension interne. Nécessité de voir un orthophoniste. Pistes : lui donner la suite des mots, ne pas le faire parler devant tout le monde, lui faire chanter ou scander ce qu’il veut dire.
Confusions phonologiques
Cela dépend de l’âge des enfants (maturation des organes) et du nombre de confusions. Ex : tr/cr devrait avoir disparu en GS. S/z peut encore persister en fin de GS.
Enfants de langue étrangère
On les fera progresser en vocabulaire et en syntaxe (imagiers), en leur accordant une attention particulière et n les amenant à parler français avec les autres enfants. Ces enfants auront probablement des problèmes au moment de l’apprentissage de l’écrit, s’ils ne maîtrisent pas suffisamment le français parlé.