Le siècle de Gallois de Regard (1512-1582)

I/ Naissance au « beau XVIe siècle »
(Lire)
A/ L’effervescence humaniste (Lire)
B/ Angoisse du salut et aspirations à la réforme de l’Eglise (Lire)
C/ Le duché de Savoie dans le tourbillon des guerres d’Italie (1494-1559) et de la Réforme (Lire)

II/ Le temps des reclassements et des conflits (Lire)
A/ L’inflexion des années 1530- 1540 (Lire)
B/ Fixation des frontières confessionnelles (années 1550-1560) (Lire)
C/ Exacerbation des conflits (Lire)

Par sa longévité et son parcours, Gallois de Regard est bien un enfant du siècle. Né dans la première moitié du XVIe siècle, souvent appelé le « beau XVIe siècle », celui de la Renaissance et de l’humanisme qui battent alors leur plein, il assiste de près à la fixation des frontières confessionnelles autour des années 1555-1565 avant de revenir en Savoie au moment où l’idéologie absolutiste l’emporte en France et les orthodoxies s’affrontent, les guerres de religion en étant l’exemple le plus frappant.
S’il a vécu à Rome dans l’entourage des Papes et a ainsi participé au rétablissement de l’autorité papale, il a aussi passé une grande partie de sa vie dans le duché de Savoie, petit Etat singulier, au cœur des problématiques du temps par sa situation géopolitique.

I/ Naissance au « beau XVIe siècle »

A/ L’effervescence humaniste
Par commodité, il est d’usage d’appliquer le terme d’humanisme à la pensée écrite alors que le mot Renaissance qualifie l’expression plastique. Les deux vocables ont tendance à se confondre, sous-tendus par une même conception du monde et de l’homme.
Contemporain de l’humaniste espagnol Michel Servet (vers 1509-1553), qui mourra tragiquement à Genève, Gallois de Regard naît en 1512, dans cette première moitié du XVIe siècle marquée par l’enchantement des découvertes (voir la chronologie). Pic de la Mirandole a déjà publié ce qui est considéré comme le premier manifeste de l’humanisme : De la dignité humaine (1486). Le titre de l’ouvrage résume les convictions humanistes : « enfin, le Grand Artisan décida que l’homme, auquel il ne pouvait rien donner qui n’appartint qu’à lui, partagerait toutes les qualités qui étaient particulières à chacune des autres créatures. Donc, il conçut l’homme comme une créature de nature indéterminée et, le plaçant au milieu de l’univers, il lui dit : « Je t’ai donné, ô Adam, aucune place ni aucune forme n’appartenant qu’à toi seul, ni aucune fonction particulière et pour cette raison, afin que tu puisses avoir et posséder, selon ton désir et ton jugement, la place, la forme et les fonctions que tu désireras… Tu ne participes ni des cieux ni de la terre, tu n’es ni mortel ni immortel afin que, te façonnant toi-même plus librement, tu puisses prendre la forme que tu préfáreras… » Ô suprême générosité de Dieu le Père ! Ô très haute et très merveilleuse félicité de l’homme ! A lui seul est accordé le pouvoir de posséder ce qui lui plaît, d’être ce qui lui semble bon. »
Quelques années plus tard, Erasme, le prince des humanistes, précise par une formule cette conception de l’homme : « les hommes ne naissent pas, ils se fabriquent » (homines non nascuntur, sed finguntur) [1]

Alors que l’idéal du Moyen Age s’incarnait dans le moine, mort au monde, « état de perfection chrétienne », la vie sur terre n’étant qu’un passage malheureux, l’humanisme renverse la proposition. Sur un mode optimiste, les capacités de l’homme, sa liberté d’agir et de modifier le cours des évènements sont mises an avant, la vie terrestre réhabilitée : « l’homme renaissant (ou humaniste) se pense comme auteur et auteur d’un monde nouveau » [2].
Du Dieu médiéval, au centre de toute chose, on passe à « l’homme au centre du monde, raccourci glorieux de ce monde… » [3]. Une telle posture libère l’énergie humaine, désacralise en grande partie l’univers, stimulant la recherche passionnée de connaissances et permettant ainsi aux arts et aux sciences de se déployer. Les grands voyages de découverte, l’explosion intellectuelle et artistique (voir la chronologie) en sont les manifestations les plus visibles. En quête du savoir universel, les humanistes veulent embrasser tous les domaines de la connaissance à partir du double héritage des Ecritures et de l’héritage antique dont le commerce permet de définir « l’humafité », c’est-à-dire l’ensemble des qualités qui font la dignité et la singularité de l’homme. La philologie s’impose comme leur premier champ de recherche, entraînant une véritable chasse aux manuscrits. La connaissance des « trois langues » (le latin, le grec, l’hébreu) devient partie intégrante de la culture humaniste qui privilégie une lecture critique pour restituer le texte exact. Laurent Valla (1404-1457) démontre ainsi que la donation de Constantin sur laquelle s’appuie le pouvoir temporel du pape est un faux, que la Vulgate, traduction latine de la Bible due à Saint-Jérôme, qui fait autorité dans l’Eglise, comporte des imperfections. En posant les bases de la critique textuelle interne, il participe à la promotion du doute méthodologique, érigé au rang de méthode par Descartes en 1637 (Discours de la méthode) mais que tous les intellectuels de l’époque pratiquent. Erasme « était surtout convaincu que la vérité cesse d’être vraie, dès lors qu’elle se fait dogme, et perd ainsi l’ambiguïté qui lui donne sa marque de vérité » [4].
Une telle disposition d’esprit ne peut que favoriser les questionnements, les interrogations, autant d’aiguillons dans la recherche du savoir, mais aussi l’acceptation d’autres manières de vivre et de penser au moment où le monde connu s’élargit considérablement. Dans le domaine des arts plastiques, la peinture n’est plus seulement au service de la religion. La centralité de l’homme et le goût de la vie terrestre se manifestent par la multiplication des portraits et des paysages, favorisée par la technique de la peinture à l’huile. La représentation en perspective est facilitée par les progrès du raisonnement géométrique et par ceux de l’industrie du verre. Les chambres obscures permettent ainsi aux peintres de mieux représenter le monde visible grâce à des jeux de miroir sur une plaque de verre plat. Cette technique, attribuée généralement à l’architecte et mathématicien Brunelleschi, apparaît à Florence au début du XVe siècle.

Sur le plan scientifique, si la profusion est moindre, les bouleversements sont qualitatifs. A la rude école des guerres d’Italie, Ambroise Paré apprend à ligaturer les artères au lieu de les cautériser au fer rouge ou à l’huile bouillante, facilitant ainsi les opérations chirurgicales et les amputations. Le flamand Vésale qui pratique la dissection des cadavres publie en 1543 des illustrations montrant des détails du corps humain. Lors des joutes qui fêtent la fin des guerres d’Italie (traité du Cateau-Cambrésis. 1559), ils tentent en vain de sauver le roi de France Henri II blessé par une lance. Michel Servet (vers 1509-1553) découvre probablement la petite circulation sanguine, c’est-à-dire la manière dont le sang passe dans les poumons pour s’oxygéner. Mais la découverte d’importance est celle du polonais Nicolas Copernic qui, développant la thèse héliocentrique (1543), ne fait plus de la terre le centre de l’univers.
Si on ne naît pas homme mais qu’on le devient, alors l’éducation et la culture ont un rôle déterminant à jouer. « A la suite de Plutarque dans les Moralia, ils (les humanistes) estiment qu’il faut trois éléments pour façonner un homme : la nature (qui doit être bien disposée), la « nourriture » (c’est-à-dire l’éducation) et l’exercice (l’effort personnel) » [5]. L’espoir placé dans les vertus de l’éducation traverse l’œuvre de l’anglais Thomas More, L’Utopie (1517). Son ami Erasme écrit un manuel d’éducation en 1535 (Civilité puérile) au succès ininterrompu aux XVIe et XVIIe siècles. La même année, Rabelais défend dans son Gargantua un programme d’éducation alliant exercices intellectuels, spirituels et physiques. Pour eux, l’éducation doit respecter les goûts et les aptitudes des élèves sans les contraindre inutilement. Ceux-ci travaillent désormais de manière personnelle avec leurs propres livres et leurs cahiers en faisant des exercices. « Le temps de la vieille faculté des arts où l’enseignement se fondait sur la lectio par le maître et la répétition par l’élève s’achève… » [6].
Cependant, ces collèges ne s’adressent qu’à une élite, les couches populaires devant se contenter des petites écoles où sont enseignés les rudiments de la lecture, de l’écriture et du calcul. Plus ou moins implicitement, les humanistes sont persuadés qu’il faut des dispositions, c’est-à-dire être « bien né . Seul Jean Bodin soutient que les dons naturels se trouvent dans toutes les catégories sociales et réclame un système éducatif ouvert à tous. [7]
Ce bouillonnement intellectuel connaît une ampleur sans précédent du fait de l’invention de l’imprimerie, autour de 1450 en Allemagne, qui permet de diffuser largement les textes restitués dans leur pureté originelle. Au XVIe siècle, de grands centres apparaissent comme Venise, Bâle, Paris, Rouen, Lyon ou Genève. 10 à 40 millions de livres circulent en Europe dans la seconde moitié du siècle, venant grossir les bibliothèques des rois, des princes, des institutions et des particuliers.
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B/ Angoisse du salut et aspirations à la réforme de l’Eglise
La foi en l’homme ne se substitue pas cependant à la foi en Dieu qui se traduit au XVIe siècle par des attentes spirituelles plus aiguës.
L’angoisse du salut individuel est d’autant plus vive que, depuis les XIIe-XIIIe siècles, les progrès de la culture occidentale s’accompagnent du développement de la conscience individuelle, interrogeant chacun sur sa responsabilité, donc sur son indignité et le péché. Pour le commun des mortels qui ne peut prétendre au paradis d’emblée, s’est construit au XIIe siècle le dogme du purgatoire, conçu naïvement comme un lieu et un temps permettant à l’âme de se purifier. Dès lors, les fidèles recherchent et emploient tous les moyens pour raccourcir ce temps intermédiaire : prières et messes, intercession des saints, indulgences. Conçues à l’origine pour diminuer ou effacer les fautes confessées, celles-ci finissent par devenir des remises de peine spirituelles qui raccourcissent le temps passé au purgatoire. Les prières dites devant les reliques des saints, les pèlerinages, certaines aumônes permettent des gains fabuleux : le record est en Allemagne avec des reliques qui totalisent près de 40 millions d’années d’indulgence. L’électeur de Saxe, protecteur de Luther, détenait 17 443 reliques de saints, ce qui lui assurait 128 000 années d’indulgences.
Cependant, une minorité pense que l’ascèse et une morale intérieure sont les meilleurs chemins vers Dieu. Durant le XVe siècle, le mouvement de la stricte observance prône le retour aux règles monastiques rigoureuses. Il rencontre un écho chez les Dominicains, les Augustins, les Carmes et les Bénédictins. A partir des Pays-Bas se diffuse la devotio moderna, forme de piété à destination des laïcs, fondée sur la pauvreté et la méditation. Ses disciples, les Frères de la vie commune, mettent leurs biens en commun, créent des écoles et donnent des conférences ouvertes à tous. Ils inspirent à Thomas a Kempis la rédaction d’un guide spirituel : l’Imitation de Jésus-Christ (1420), tout un programme (voir la chronologie).
Héritée du Moyen Age, la « dévotion moderne » incite au détachement du monde. Les humanistes veulent eux définir une sagesse chrétienne accessible aux fidèles engagés dans le siècle et combattent pour la diffusion de l’Ecriture. Les deux principaux militants sont Lefèvre d’Etaples (v.1546-1536) et Erasme de Rotterdam (1469-1536) qui devient par son intelligence le maître à penser de toute l’Europe lettrée. Avec verve et ironie, il brocarde dans l’Eloge de la folie (1511) la bêtise tant des clercs que des laïcs. « Ne pas enfermer la vérité dans des dogmes trop strictement formulés, préférer l’esprit à la lettre, ne pas asservir la liberté du chrétien à des prescriptions trop tatillonnes, respecter les opinions d’autrui, préserver la paix entre les individus comme entre les Etats : tel est le haut idéal que propose Erasme » [8].
En France, l’évêque Guillaume Briçonnet décide de réformer son diocèse en rétablissant la discipline ecclésiastique, en introduisant le français dans la liturgie et en faisant venir une équipe de prédicateurs extérieurs. Lefèvre d’Etaples rejoint par des prêtres et un simple tonsuré, Guillaume Farel, sont chargés de faire connaître l’Evangile. Ainsi celui qui introduit plus tard la Réforme à Genève et appelle Calvin, Farel, fait-il partie de ce qu’on a appelé le groupe de Meaux. Un même élan spirituel les réunit à un moment où les positions doctrinales ne sont pas encore fixées, cristallisées. Malgré la protection de Marguerite d’Alençon, sœur de François 1er, le groupe de Meaux est contraint à la dispersion (1525).
C’est dans ce terreau spirituel qu’il faut replacer la rupture luthérienne. Moine augustin d’Erfurt, Luther (1483-1546) cherche désespérément à conjurer son angoisse du salut par des pratiques ascétiques et des œuvres méritoires. En lisant saint Augustin et les épîtres de saint Paul, en particulier l’épître aux Romains, il comprend que Dieu, dans son infinie bonté, donne gratuitement sa justice sans tenir compte du péché ni des bonnes œuvres. Il ressent, dit-il, une joie profonde, un sentiment de libération qu’il veut désormais faire partager. Il dénonce en particulier les indulgences vendues par le pape pour financer la reconstruction de la basilique Saint-Pierre de Rome. Pour lui, c’est faire croire que le salut peut s’acheter. Il publie alors en 1517 ses 95 thèses qui refusent au pape la possibilité d’agir sur le purgatoire. Les 95 thèses n’étaient qu’un cri d’alarme. Mis au ban de l’Empire, Luther écrit en 1520 plusieurs ouvrages qui précisent sa doctrine, véritable rupture avec Rome : sola fide, sola scriptura. L’homme est justifié par sa seule foi et non par ses œuvres qui ne sont que la conséquence de la foi. La Bible est le critère ultime de la vérité et non la tradition de l’Eglise. Tout chrétien doit y avoir accès. L’existence du purgatoire est niée, le culte de la Vierge et des saints est inutile et relève de l’idolâtrie. Deux sacrements, fondés sur l’Ecriture, sont conservés : le baptême et la Cène. Tout laïc a la dignité du clerc, c’est le sacerdoce universel qui remet en question la hiérarchie de l’Eglise romaine. N’ayant plus à se préoccuper de son salut puisque Dieu seul en décide, l’homme peut ainsi se consacrer entièrement aux tâches d’ici-bas. A ce titre, le protestantisme est considéré comme un humanisme. Il libère les énergies créatrices de l’homme et participe à la laïcisation du monde.

C’est dans ce contexte stimulant que se déroule l’enfance de Gallois de Regard né, qui plus est, dans une famille de notaires fraîchement anoblie donc d’une certaine culture. Son père, Pierre de Regard, est châtelain de Clermont en 1511. De petite noblesse, il exerce en tant que représentant du prince, des fonctions militaires et judiciaires dans un petit Etat dont la situation stratégique fait de son duc le « portier des Alpes », à l’époque des guerres d’Italie et du développement de la Réforme.
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C/ Le duché de Savoie dans le tourbillon des guerres d’Italie (1494-1559) et de la Réforme
Comme le montre l’exemple de la famille de Regard, la noblesse n’est pas un ordre fermé ni une caste surtout à la Renaissance où la mobilité sociale ascendante est relativement fréquente. A cette époque, il n’existe pas de critère précis permettant de définir la limite entre la noblesse et la roture. « Vivre noblement » fait le noble. Celui-ci est, par vocation, au service du prince, en l’occurrence le duc Charles III (1504-1553) dont le territoire s’étend alors du lac de Neuchâtel à Nice et des portes de Lyon à Verceil (Vercelli aujourd’hui), à l’entrée du duché de Milan.Le duché de Savoie Carte fournie par Joël Serralongue du service archéologique de Haute-Savoie
(ref. inconnues)

Genève est la ville la plus importante du duché : elle compte 10 000 habitants en 1537 alors que la population de Chambéry est estimée à 3000 en 1560 et qu’aucune localité n’atteint 2000 habitants en Savoie avant la fin du XVIIIe siècle. Elle est en principe sous l’autorité d’un prince-évêque, nommé par le duc, qui doit cependant composer avec les bourgeois de la ville. Un accord conclu entre le pape Nicolas V et le duc Louis en 1451 stipule que les évêques de Genève et les chanoines de la cathédrale doivent appartenir à la maison de Savoie ou à des familles vassales. Ceci explique sans doute la nomination du frère aîné de Gallois, Janus, au chapitre cathédral de Saint-Pierre de Genève. Il en devient même le prévôt, ce qui le place en deuxième position dans la hiérarchie ecclésiastique, juste après le Prince-évêque. Gallois de Regard est à son tour chanoine du même chapitre vraisemblablement après son ordination en 1535 mais le cours des évènements l’a sans doute empêché d’exercer sa charge à Genève, même si nous ne pouvons pas l’affirmer avec certitude. L’essor de Lyon et le déclin concomitant des foires de Genève conduit les marchands et les ecclésiastiques influents à se tourner vers la Ligue suisse. En janvier 1519, 86 bourgeois sous la direction de Bonivard, prieur de Saint-victor, signent un pacte de combourgeoisie [9] avec Fribourg provoquant l’entrée violente dans la ville de Charles III. Des factions rivales se déchirent : les Eidguenots, favorables aux Suisses, et les Mammelus [10], partisans du duc de Savoie. En 1524, l’exécution à Bonne d’un juge épiscopal accusé de luthéranisme provoque une insurrection matée par Charles III qui rentre dans Genève avec 10 000 hommes et tient un conseil, appelé « conseil des hallebardes », dans le cloître de Saint-Pierre, où se situe actuellement le musée international de la Réforme.
S’il parvient provisoirement à imposer ses vues, les Eidguenots l’emportent finalement. En 1526, une nouvelle combourgeoisie est signée dans laquelle rentre Berne, déjà protestante. Les juridictions épiscopales sont remplacées par un tribunal civil, le chapitre est épuré : seuls des bourgeois de Genève ou des combourgeois suisses peuvent désormais devenir chanoines. L’évêque Pierre de la Baume s’enfuit à Gex. Charles III tente un coup de force en 1530 mais l’intervention de Berne l’oblige à signer le désastreux traité de Saint-Julien dans lequel il s’engage à ne plus inquiéter les Genevois. Dès 1532, Farel prêche la Réforme à Genève, adoptée dans les faits le 10 août 1535 lorsque le Conseil des Deux-Cents [11] décide la suspension de la messe.
Le 21 mai 1536, la Réforme est officiellement adoptée. Calvin est à Genève, appelé par Farel, et fait paraître la même année son ouvrage, l’Institution de la religion chrétienne qui connaît un succès immédiat. Tous les exemplaires disparaissent en neuf mois. Il y définit sa doctrine, conforme sur les points essentiels avec celle de Luther mais l’ouvrage est aussi un manuel théologique, un guide spirituel et un traité de morale pratique, privée et publique, diffusé dans toute Europe et en particulier dans le duché de Savoie par des libraires, des colporteurs, des marchands et des missionnaires (plus de 200 sont envoyés en France entre 1555 et 1562). Si Luther a initié la Réforme mais a laissé le pouvoir civil s’occuper de l’organisation de l’Eglise réformée, Calvin, au contraire, accorde la plus grande attention à l’encadrement des fidèles. Des diacres assistent les pauvres et les malades, les docteurs sont chargés de l’enseignement, les pasteurs des tâches religieuses tandis qu’un consistoire, composé des pasteurs et de 12 laïcs, surveille le comportement de chacun.

L’Académie de Genève, créée en 1559, forme une pépinière de ministres envoyés ensuite en France et dans l’Europe entière. C’est à Genève, auprès de Calvin, que le réformateur écossais John Knox traduit la Bible en anglais avant de retourner en Ecosse pour convertir son pays à la Réforme. Bref, Genève est considérée au XVIe siècle comme la « Rome protestante ».

1536 marque aussi l’invasion du duché par les Bernois et les Français qui le tiennent sous leur dépendance jusqu’en 1559. A l’appel de Genève sans cesse attaquée par des gentilshommes favorables au pape et au duc, les Bernois envahissent le nord du duché et s’emparent du Chablais en quelques semaines. En accord avec eux, François 1er conquiert le reste du duché pour s’assurer la maîtrise des passages vers l’Italie. Seule la Tarentaise oppose une résistance sans pouvoir empêcher la conquête du Piémont. Il ne reste plus à Charles III que Nice et Verceil, défendue par les troupes espagnoles. Cette conquête s’inscrit dans le contexte des guerres d’Italie (voir la chronologie) qui oppose la France à l’Espagne pendant un demi-siècle.
Le Conflit est aggravé par l’élection de Charles Quint à la tête de l’Empire en 1519, perçue comme une menace d’encerclement par François 1er... Cette nomination place Charles Quint à la tête d’ « un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais ». Il est à la fois roi d’Espagne, empereur du Saint Empire romain germanique, souverain du royaume de Naples et du duché de Milan (depuis 1559) et il inclut en outre dans son patrimoine les Pays-Bas et la Franche-Comté.Carte politique de l’Europe au début du XVIe siècle Jérôme Hélie, Petit atlas historique des Temps modernes, Paris, A.Colin, 2000, p.31 (la zone hachurée a été ajoutée)

Par sa situation, le duché de Savoie apparaît comme un Etat-tampon.

Ces évènements marquent la vie de Gallois de Regard, ordonné prêtre un an avant que la Réforme ne soit proclamée à Genève, qui vit sous l’occupation française jusqu’à son départ pour Rome en 1555.
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II/ Le temps des reclassements et des conflits

A/ L’inflexion des années 1530- 1540
En 1530, le proche collaborateur de Luther, Philippe Melanchton, est chargé de synthétiser la pensée de Luther pour la présenter à Charles Quint qui a convoqué à Augsbourg une diète où les dissidents feraient connaître leurs opinions. En résulte la Confession d’Augsbourg qui fait le point sur la doctrine luthérienne et devient le document de référence pour tous ses disciples. Elle donne la consistance doctrinale nécessaire à la constitution d’une confession réformée bien définie. Mais, au milieu du siècle encore, les positions ne sont pas encore définitivement fixées comme le montre l’Intérim d’Augsbourg (30 juin 1548), règlement religieux provisoire élaboré par une commission composée de théologiens catholiques, d’évangélistes érasmiens et de luthériens. Celle-ci impose l’usage des 7 sacrements, le culte des saints et rétablit le pouvoir épiscopal pour satisfaire le clan catholique mais autorise aussi le mariage des prêtres et la communion sous les deux espèces à la demande des protestants.

Du côté catholique, les zelanti, partisans de la fermeté à l’égard de Luther, l’ont emporté sur les sprituali qui ont essayé d’organiser des colloques de réconciliation avec l’appui de Charles Quint. Dès 1542, le pape Paul III (1534-1549), chef de file des zelanti, transforme l’inquisition en congrégation du Saint-Office, chargée de lutter contre le protestantisme. Les prélats sensibles aux idées d’Erasme se sont exilés ou sont marginalisés. Le pape convoque un concile appelé à devenir le concile de la contre-Réforme : le concile de Trente (1545-1564). Lors de la première période (1545-1547) sont jetées les bases de la doctrine catholique : Credo, la Vulgate comme seule version de la Bible, condamnation des thèses de Luther, nombre des sacrements fixés à sept, redéfinition du rôle des évêques.
De nouveaux ordres religieux, véritables bras armés de cette offensive catholique voient le jour. Le plus célèbre d’entre eux est la compagnie de Jésus, fondé par l’espagnol Ignace de Loyola. Son acte de naissance remonte au 15 août 1534 quand Ignace de Loyola et six de ses compagnons dont le savoyard Pierre Favre, 1er prêtre ordonné de la compagnie, font vœu de chasteté et de pauvreté sur la colline de Montmartre et s’engagent à convertir les infidèles. Né au Villaret en 1506 (commune de Saint-Jean-de-Sixt), Pierre Favre participe au concile de Trente et meurt à Rome en 1562. Gallois de Regard l’a sans nul doute rencontré pendant les huit années de son séjour à Rome. Les jésuites sont environ 15 000 et animent 550 fondations à la fin du siècle. Un autre ordre, celui des capucins, reconnu en 1528 par le Saint-Siège, que l’historien Denis Richet qualifie de « piétaille de la Contre-Réforme », a développé son activité missionnaire dans les campagnes, en complémentarité avec celle des jésuites qui s’adressent en priorité aux élites urbaines.

Dans le royaume de France, après l’affaire des Placards, textes imprimés et affichés un peu partout en France dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, jusque sur la porte de la chambre royale, la répression s’organise contre les protestants, le crime de « luthéranisme » étant assimilé à la sédition. Placés sous l’autorité des tribunaux royaux, des inquisiteurs de la foi, nommés par le pape, sont chargés de déceler et d’examiner les hérétiques. Beaucoup s’enfuient à Genève, c’est le début du Refuge.

Le duché de Savoie, si près de Genève, ne pouvait qu’être touché par la propagation de la Réforme. En 1528, au cours d’un synode réuni à Chambéry, l’évêque d’Aoste lit ce rapport alarmiste : « Messeigneurs, de toutes parts les nouvelles sont déplorables ; nos paroisses de Genève et de Chambéry sont infectées de livres défendus ; les gens vont criant partout qu’il faut vendre les biens des prélats et des abbés pour nourrir les pauvres et les souffreteux. Quant à payer les messes et observer les jeûnes, on n’y pense plus guère » [12].
Le risque religieux se double d’une crainte de révolte sociale. Dès 1530, un groupe de luthériens est signalé à La Roche sur Foron. En 1539, le châtelain de Chaumont, Pierre Curtet, suspecté d’hérésie, est brûlé vif sur le Pâquier. En mars 1550, à Chambéry, un dénommé Jean Godeau, originaire de Chinon, est traîné sur une claie, étranglé puis brûlé vif. Néanmoins, bien que spectaculaire, la répression n’est pas encore le résultat d’une Contre-Réforme organisée mais s’apparente plutôt à des mesures d’urgence ponctuelles.
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B/ Fixation des frontières confessionnelles (années 1550-1560)
Lorsque Gallois arrive à Rome en 1555, la grande confusion qui régnait dans l’Eglise catholique est dissipée, le dogme catholique en passe d’être fixé. La deuxième période du concile de Trente (1551-1552) est achevée : contre les doctrines protestantes, le concile affirme la Présence Réelle du Christ lors de l’eucharistie. La transsubstantiation (transformation du pain et du vin en corps et sang du christ) devient un dogme fondamental du catholicisme romain. Michel ange travaille à la construction de la coupole de Saint-Pierre de Rome (voir la chronologie). Gallois entre dans l’intimité du nouveau pape, Paul IV Carafa (1555-1559), à la culture humaniste, et qui parle le grec et l’hébreu.
Cependant, il développe l’inquisition et pratique le népotisme à tel point que la population de Rome ne l’apprécie guère puisque sa statue est renversée et mutilée. Son successeur, Pie IV (1559-1565), est l’artisan d’une reprise du concile dont les dernières sessions reviennent sur la réforme du clergé. Il s’efforce d’en publier les canons et de les faire accepter par les Etats catholiques. Il est épaulé par son neveu, Charles Borromée (1538-1584), qu’il fait venir à Rome dès le début de son règne et que Gallois a sûrement fréquenté. Devenu archevêque de Milan en 1565, l’un des diocèses les plus vastes et les plus peuplés de la chrétienté, Charles Borromée en fait un laboratoire de la réforme catholique. Il apparaît vite comme le modèle du parfait prélat auquel les évêques post-tridentins veulent se conformer. Son expérience consignée dans des actes devient le guide de la mise en pratique des décrets tridentins dans toute l’Europe. Son influence est énorme, en particulier dans le duché de Savoie, et son prestige tel, qu’il est rapidement canonisé en 1611. Pie V (1566-1572), joue un rôle décisif en fournissant à l’Eglise catholique les outils nécessaires à la connaissance et à la diffusion du catholicisme tridentin : publication du Catéchisme à l’usage des curés selon le concile (1566), du Bréviaire romain (1568) et du Missel romain (1570). Gallois vit de près cette période capitale pour l’Eglise catholique puisqu’il est à Rome jusqu’en 1563, date à laquelle il est nommé évêque de Bagnoréa (près de Viterbe au nord-ouest de Rome). Il dispose toujours de relais à Rome en la personne de son frère aîné, Janus, chanoine de la basilique Saint-Pierre de 1568 à sa mort en 1572.

Du côté protestant, les expéditions militaires lancées contre les réformés par Charles Quint échouent. La paix de religion d’Augsbourg (1555) avalise la division confessionnelle de l’Empire selon le principe Cujus regio ejus religio (le sujet adopte la religion de son prince). Si le luthéranisme se diffuse,
le calvinisme apparaît plus offensif dans la seconde moitié du siècle. Sous l’autorité de Calvin puis de Théodore de Bèze (1519-1605), la réforme calviniste gagne la Hongrie, la France, l’Ecosse et les Pays-Bas.

’Europe religieuse à la fin du XVIe siècle Michel Cassan, L’Europe au 16e siècle, Paris, A.Colin, 2003, 2004, p.187.

En Angleterre, la reine Elisabeth rétablit en 1559 l’acte de suprématie (chronologie) qui lui reconnaît la possibilité d’intervenir dans les affaires religieuses et dans la définition de la doctrine. Elle finit par adopter une voie originale, l’anglicanisme, mêlant une doctrine imprégnée de calvinisme, une organisation et une liturgie inspirées de l’Eglise catholique.

Le traité de Cateau-Cambrésis (1559) permet au duc de Savoie, Emmanuel-Philibert, de recouvrer ses Etats.Le duché de Savoie Carte fournie par Joël Serralongue du service archéologique de Haute-Savoie
(ref. inconnues)

Aux traités de Nyon et de Lausanne (1564), il récupère le Chablais, Ternier et Gaillard ainsi que le pays de Gex. En 1569, le traité de Thonon lui rend Evian, le pays de Gavot et Saint-Jean-d’Aulps. Capitaine renommé, vainqueur de Saint-Quentin (1557. tour d’horizon) il se révèle aussi un fin diplomate. Profondément hostile au protestantisme par son éducation et sa proximité avec la cour espagnole, il se contente cependant d’endiguer la propagation de la Réforme, son but étant avant tout de refonder son duché. Son mariage avec une princesse humaniste, Marguerite de France, fille de François 1er, l’a sans doute enclin à une certaine modération. Lisant le grec et le latin, parlant l’italien et l’espagnol, la duchesse, conseillée par son ami Michel de l’Hospital dont le maître à penser est Erasme, cultive la tolérance et montre même des sympathies pour la Réforme.
La politique religieuse d’Emmanuel-Philibert est donc un mélange de tolérance, de répression mais aussi d’offensive doctrinale sur la base de l’œuvre du concile de Trente. Dès 1560, le jésuite Antonio Possevino est chargé de propager un catholicisme intransigeant. Il part en mission à travers le Piémont et la Savoie. Sur son conseil, des relations suivies sont établies entre la cour ducale et Rome où se trouve Gallois. Multiplication des collèges pour former les élites et des petites écoles pour le peuple, diffusion de tracts de propagande religieuse affichés dans les lieux publics et distribués dans les familles sont autant de moyens employés. Possevino s’entend avec un imprimeur lyonnais pour la vente exclusive d’un résumé en langue vulgaire d’un catéchisme. L’édit du 21 février 1562 oblige les familles et leurs domestiques à assister aux prédications catholiques. Les maîtres d’école doivent veiller à l’orthodoxie des croyances de leurs élèves, les faire confesser et communier aux fêtes et leur apprendre à reconnaître les hérétiques. Quand Gallois de Regard revient en Savoie en 1570, le duché est reconstruit, réorganisé et la Réforme contenue. Il est devenu l’une des citadelles de la Contre-Réforme en Europe, au contact direct avec Genève.

En France, après la conjuration d’Amboise (chronologie), ceux que Calvin appelle les « moyenneurs » espèrent une réconciliation à l’assemblée de Fontainebleau (chronologie). Mais la concorde religieuse, c’est-à-dire un retour à l’unité catholique au prix de concessions mutuelles, s’avère impossible. Au colloque de Poissy (1561) - chronologie, l’intransigeance des calvinistes et des catholiques ne laisse que deux issues : la guerre ou la tolérance civile qui consiste à accepter, souvent provisoirement, la différence religieuse. Catherine de Médicis et son chancelier Michel de l’Hospital s’acheminent lentement vers la seconde. Après une vague d’iconoclasme lors de laquelle des protestants brisent les images et les statues des églises (chronologie), Michel de l’Hospital propose de distinguer le citoyen du chrétien, l’ordre temporel de l’ordre spirituel, en vain. Par l’édit de Janvier dit de Saint-Germain (1561), le culte réformé devient légal sous certaines conditions. Mais, dès l’année suivante, la France s’enfonce dans la guerre civile : le massacre de protestants à Wassy (1562. chronologie) par la troupe du duc de Guise, chef du clan catholique, marque l’entrée dans les guerres de religion (1562-1598) - voir la chronologie.
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C/ Exacerbation des conflits
Gallois de Regard rentre en Savoie au moment où les guerres de religion en France touchent à leur paroxysme. Au total, huit guerres dont l’épisode le plus célèbre est le massacre de la Saint-Barthélemy (1572) qui fait environ 3000 morts à Paris et 5 à 6000 morts en province, ravagent le pays. A partir des années 1580, pillages, destructions des récoltes, rapts et rançonnements se généralisent. Elles se terminent par la victoire d’Henri IV qui parvient finalement à pacifier le pays en abjurant sa foi protestante (1593) et surtout en promulguant l’édit de Nantes (1598). Tout en proclamant le catholicisme confession d’Etat, l’édit donne la liberté de conscience et de culte aux réformés sous certaines conditions. Il ne sera officiellement révoqué qu’en 1685 par Louis XIV (édit de Fontainebleau).
Dans le même temps, les jésuites et les capucins conduisent l’entreprise de reconquête catholique. Tous les arts sont convoqués : la musique, l’architecture, le théâtre scolaire ont pour fonction de rendre sensible et émotionnel le catholicisme tridentin. Les capucins promeuvent la dévotion des Quarante Heures qui invite les fidèles à adorer l’eucharistie pendant ce laps de temps qui rappelle le nombre d’heures entre la mort et la résurrection du Christ. Le prestige de la papauté est rehaussé par la bataille de Lépante (1571. voir tour d’horizon) à laquelle participe le duc de Savoie. Sur le plan international, la révolte des Pays-Bas, qui aboutit finalement à la création des Provinces-Unies de confession calviniste (tour d’horizon), envenime les relations entre l’Espagne et l’Angleterre (1588, défaite de l’Invincible Armada espagnole). Entre la France et l’Espagne, la guerre reprend en 1595, touchant le duché de Savoie, et se termine par la paix de Vervins en 1598 (tour d’horizon).

Gallois meurt en 1582 avant le déclenchement de ce conflit. Même si la situation française et internationale pèse lourdement, il a profité de la paix qui règne dans le duché de Savoie, grâce à la politique prudente d’Emmanuel-Philibert, pour construire l’hôtel de Bagnoréa, situé rue Sainte Claire, et le château de Clermont. Il n’a pas le temps de connaître les effets désastreux de la politique hasardeuse du nouveau duc, Charles-Emmanuel 1er (1580-1630), qui s’engage dans des rêves chimériques de conquête et ne se résout pas à la perte de Genève. Le duc ráussit cependant l’unité catholique de ses Etats en s’appuyant sur François de Sales (1567-1622), dont le directeur de conscience n’est autre que le jésuite Antonio Possevino, et les capucins, en particulier le père Chérubin.
Le premier reconquiert le Chablais à la foi catholique (1594-1598), secondé par Chérubin qui organise en 1597 les Quarante Heures d’Annemasse : environ 30 000 participants assistent aux fastes du culte catholique qui mettent en valeur le Saint-Sacrement ; une église est érigée en plein air, ornée de magnifiques tapisseries et d’argenterie et une grande croix recouverte de fer blanc, fabriquée à Annecy, est dressée face à Genève [13]. La Contre-Réforme battra son plein au XVIIe siècle en Savoie. Des évêques réformateurs appliqueront les décrets disciplinaires du Concile de Trente et réformeront leur diocèse : François de Sales lui-même et, un peu plus tard, Jean d’Arenthon d’Alex (1661-1695) dans le diocèse de Genève (en fait Annecy), Anastase Germonio (1607-1627) en Tarentaise ou Etienne Le Camus (1671-1707), grande figure de la Contre-Réforme dans la région de Chambéry. L’art baroque, particulièrement répandu en Savoie, sera l’art de cette Contre-Réforme.

Gallois de Regard traverse presque de bout en bout « ce siècle qui (pour les grands, les riches et les puissants de ce monde au moins), chassant la mélancolie du Moyen Age finissant, s’est ouvert dans l’enchantement des découvertes, se termine dans la passion des reclassements les plus austères » [14]. Il vit une période de transition qui se termine par la cristallisation en ensembles identifiables du bouillonnement caractéristique du « beau XVIe siècle ».
A la fin du XVIe siècle, les différentes confessions chrétiennes sont clairement définies, les Etats nationaux se sont affirmés, l’autorité spirituelle de la papauté sort renforcée et l’idée de monarchie absolue triomphe en France mais aussi en Savoie. Cette dynamique se manifeste aussi par l’épanouissement des littératures nationales. En France, Du Bellay (1522-1560) publie en 1549, Défense et illustration de la langue française et appartient avec Ronsard et d’autres à cette école de poésie connue sous le nom de pléiade. Montaigne soutient les efforts absolutistes du roi de France que Jean Bodin théorise dans La République (1576). Dans Recherches de la France, Pasquier fait l’apologie de la France contre l’Italie (1596). En Angleterre, Christopher Marlowe (1564-1593) et William Shakespeare (1564-1616) donnent à la littérature anglaise leurs plus belles œuvres. En Espagne, Cervantès (1545-1616) écrit au début du XVIIe siècle le fameux roman, Don Quichotte.
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Notes

[1] Erasme, Declamatio de pueris statim ac liberaliter instituendis, 1529. Traduction française en 1537 sous le titre : Déclamation contenant la manière de bien instruire les enfans, dès leur commencement..

[2] Janine Garrisson, Royauté, Renaissance et Réforme, 1483-1559, Paris, Points Seuil, 1991, p.56.

[3] Ibid., p.57.

[4] Siegfried Kracauer, L’Histoire des avant-dernières choses, Paris, Stock, 2006, p.63.

[5] Arlette Jouanna, La France au XVIe siècle 1483-1598, Paris, Puf, 1996, 2006, p.260.

[6] Janine Garrisson, op.cit., p.61.

[7] Jean Bodin, Oratio de instituendain Republica juventute ad Senatum Populumque Tolosatem (Discours au Sénat et au peuple de Toulouse sur l’éducation à donner aux jeunes gens de la République), 1559.

[8] Arlette Jouanna, op.cit., p.290.

[9] Les citoyens et bourgeois de Genève le sont aussi de Fribourg et réciproquement.

[10] Eidguenots vient du mot Eiguenossen, alliés sous serment ; il donnera après 1560 le mot Huguenots qui qualifient les protestants français ; celui de Mammelus est une corruption de Mameluks qui signifie serviles.

[11] Crée vraisemblablement en 1526, ses membres sont désignés par l’assemblée des bourgeois genevois. Il est l’organe législatif de la ville.

[12] Cité par Roger Devos, Bernard Grosperrin, La Savoie de la Réforme à la Révolution française, Rennes, Ouest France, 1985, p. 282.

[13] Voir sur ce sujet Hubert Wyrill, Réforme et Contre-Réforme en Savoie, 1536-1679, Lyon, Réveil Publications, 2001, p.110-114.

[14] Robert Mandrou, Histoire de la pensée européenne, des humanistes aux hommes de science, XVIe et XVIIe siècles, Paris, Seuil, 1973, p.93.